Zineb Sedira : une artiste entre mémoire, transmission et engagement en Algérie


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Silent Sight de Zineb Sedira
Silent Sight de Zineb Sedira

Née à Paris en 1963 de parents algériens, Zineb Sedira s’est imposée comme l’une des voix les plus singulières de l’art contemporain international. À travers son œuvre multidisciplinaire – alliant photographie, vidéo et installations – l’artiste franco-algérienne tisse des liens entre histoires personnelles et mémoire collective, explorant les complexités de l’héritage postcolonial et des identités transculturelles.

Une œuvre ancrée dans l’histoire partagée

Formée à Londres à la prestigieuse Central Saint Martins School of Art puis au Royal College of Art, Zineb Sedira développe rapidement un langage artistique qui interroge les silences et non-dits de l’histoire. Ses premières créations mettent en scène des conversations intimes entre générations, notamment avec sa mère, devenant ainsi le réceptacle de récits familiaux marqués par l’expérience de la guerre d’indépendance algérienne et de l’immigration en France.

Mother Tongue 2022 Installation viédo© Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, CNHI
Mother Tongue 2022 Installation viédo© Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, CNHI

« Je travaille sur la parole et la transmission orale car c’est ainsi que l’histoire algérienne s’est perpétuée, en l’absence d’archives officielles accessibles« , confiait l’artiste lors d’une interview en 2019. Cette approche trouve son apogée dans des œuvres comme « Mother Tongue » (2002), triptyque vidéo explorant les ruptures linguistiques entre trois générations de femmes.

Sa consécration internationale culmine en 2022 lorsqu’elle représente la France à la Biennale de Venise avec « Les rêves n’ont pas de titre« , installation immersive saluée unanimement par la critique. Cette œuvre majeure rend hommage au cinéma militant des années 1960-1970 qui a accompagné les luttes anticoloniales, révélant les collaborations méconnues entre cinéastes algériens, français et italiens dans un contexte de bouleversements politiques.

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ARIA : un pont entre deux rives de la Méditerranée

L’engagement de Sedira pour son pays d’origine va plus loin. En 2011, elle fonde ARIA (Artist Residency in Algiers), une résidence d’artistes située au cœur d’Alger. « Il était essentiel de créer un espace de dialogue et d’expérimentation dans un pays où les institutions artistiques contemporaines sont rares« , explique-t-elle.

Cette initiative pionnière offre aux créateurs locaux et internationaux un lieu d’échange et de production, contribuant à dynamiser la scène artistique algérienne. ARIA organise régulièrement des ateliers, des expositions et des rencontres avec des professionnels du monde entier, devenant ainsi un véritable catalyseur de la création contemporaine à Alger.

Le projet de Sedira joue un rôle crucial dans l’émergence de nouvelles voix. « Notre ambition est de créer des ponts durables entre les artistes du Sud et du Nord de la Méditerranée, au-delà des clichés et des approches exotisantes« , souligne la directrice artistique d’ARIA.

La mer comme témoin de l’histoire

La Méditerranée occupe une place centrale dans l’œuvre récente de Zineb Sedira. Sa série « Sands of Time » explore les ports algériens et les vestiges maritimes comme témoins silencieux de l’histoire coloniale et des échanges humains qui ont façonné la région. À travers des photographies de phares abandonnés, d’épaves et d’archives maritimes, l’artiste révèle une histoire alternative de la Méditerranée, espace d’échanges mais aussi de domination. « Ces ports sont des palimpsestes où se lisent les multiples couches de l’histoire algérienne – précoloniale, coloniale et postcoloniale« , analyse Sedira.

Lighthouse in the Sea of Time
Lighthouse in the Sea of Time : Zineb Sedira

Dans son installation « Lighthouse in the Sea of Time » (2011), elle filme les derniers gardiens de phare d’Algérie, dépositaires d’un savoir en voie de disparition. Ces images contemplatives, associées à des objets maritimes collectés, composent une méditation visuelle sur le passage du temps et la fragilité de la mémoire collective.

L’art comme acte de résistance et de transmission

Zineb Sedira
Zineb Sedira

La force du travail de Zineb Sedira réside dans sa capacité à transformer des récits intimes en réflexions universelles sur l’identité, l’appartenance et la mémoire. Par sa pratique artistique et son engagement sur le terrain, elle contribue à une réécriture plurielle de l’histoire algérienne et méditerranéenne.

« L’art a cette capacité unique de faire émerger les récits marginalisés, de donner corps aux silences de l’histoire officielle« , affirme l’artiste. À travers son œuvre en perpétuelle évolution, Sedira participe à la construction d’une mémoire partagée qui transcende les frontières géographiques et culturelles.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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