Martin Gurajena*, comme bien d’autres militants de l’opposition forcés à fuir pour échapper aux flambées de violence politique qui sévissent actuellement au Zimbabwe, se trouve confronté à un choix difficile : quand pourra-t-il rentrer chez lui en toute sécurité ?
M. Gurajena [[Un nom d’emprunt]] , 48 ans, sa femme et ses quatre enfants, font partie des 20 familles hébergées dans une église de Bulawayo, la deuxième ville du Zimbabwe. La milice de la ZANU-PF, le parti de Robert Mugabe (composée de jeunes hommes réputés pour leur violence) les a chassées de Mberengwa, dans la province des Midlands (centre), parce qu’elles étaient membres du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), le parti d’opposition.
La décision de Morgan Tsvangirai, le leader du MDC, de ne pas se présenter au deuxième tour des élections présidentielles contre M. Mugabe le 27 juin (M. Tsvangirai a invoqué le fait qu’un trop grand nombre de ses partisans avaient déjà été tués depuis le premier tour, le 29 mars) a été un coup dur pour M. Gurajena.
« J’avais prié et espéré que Tsvangirai gagnerait, et que je pourrais retourner dans mon village pour reconstruire notre maison, qui a été incendiée par les partisans de la ZANU-PF. Mais quand il s’est retiré des élections, j’ai eu le cœur serré. Aujourd’hui, mon bétail est éparpillé partout, parce que je n’ai pas pu réunir mes bêtes avant de m’échapper : on m’avait prévenu qu’on me tuerait si j’attendais », a raconté M. Gurajena à IRIN.
Martin Gurajena est de toute évidence déchiré entre deux choix : rester ou retourner chez lui. Il se sent émotionnellement responsable, a-t-il dit, envers les personnes qu’il a laissées derrière lui, mais il sait également qu’il reste la cible des miliciens ; même si ceux-ci changeaient brusquement d’avis, son propre chef, qu’il dépeint comme un fervent partisan de la ZANU-PF, pourrait ne pas l’autoriser à se réinstaller au village.
« Ma vie entière est anéantie ; qu’adviendra-t-il de moi et de ma famille ? Nous avons fui pour échapper aux miliciens de la ZANU-PF et il n’y a pas moyen que je puisse retourner là-bas […] les violences qui sévissent dans tout le pays sont terrifiantes, et des gens sont encore passés à tabac à Mberengwa ; je ne peux pas y aller ».
« Je pardonnerai peut-être, mais je n’oublierai pas »
Martha Hove, veuve et mère de quatre enfants, était agent électoral du MDC pendant les élections du 29 mars. Les yeux fermés, elle raconte comment elle a été chassée de Mberengwa par les miliciens, sous les ordres des « vétérans de la guerre », qui ont incendié sa ferme et l’ont battue ; son visage porte encore les marques de son agression.
« J’ai survécu à cette attaque par la grâce à Dieu : les vétérans de la guerre voulaient me tuer. Je ne pense pas que je retournerai à Mberengwa. Je vais devoir me réinstaller avec ma famille dans une autre région, même au Matabeleland [dans le sud du pays], si les populations m’acceptent ». Martha Hove appartient à l’ethnie des Shona, la principale ; le Matabeleland, dont Bulawayo est la capitale, est essentiellement peuplé de Ndebele.
« Je pardonnerai peut-être, mais ne n’oublierai pas ce qu’ils m’ont fait. Ceux qui m’ont attaquée, je les connais bien ; ce sont mes voisins, mais ils se sont transformés en animaux quand ils m’ont battue », a raconté Martha Hove. Mberengwa est depuis toujours un bastion du ZANU-PF.
Selon Useni Sibanda, coordinateur national de l’Alliance chrétienne, un groupement d’organisations ecclésiastiques qui s’occupent des personnes déplacées par les violences, et hébergées dans un réseau de refuges, le nombre de victimes ne cesse d’augmenter.
« À l’heure actuelle, nous n’envisageons même pas de reloger ces gens, étant donné que nous recevons encore d’autres victimes de violence. Une fois que la situation se sera calmée, nous pourrons commencer à envisager de les reloger ou de les laisser retourner dans leurs villages d’origine », a-t-il expliqué à IRIN.
M. Sibanda n’a pas souhaité indiquer le nombre de personnes hébergées par son organisation, mais il a expliqué que des centaines de familles avaient été déplacées et qu’elles avaient trouvé refuge chez des habitants de Bulawayo, sensibles à leur sort. Toujours selon M. Sibanda, si les violences se poursuivent, les églises ne pourront plus faire face au nombre de déplacés.
D’après le MDC, près de 90 responsables et partisans du parti ont été tués depuis le mois de mars, et des milliers sont désormais sans abri. Pour Nelson Chamisa, le porte-parole du parti, il faut mettre en place d’urgence un « gouvernement [de transition pour la] guérison nationale », afin d’assurer la réunification du pays.
« Le MDC appelle à la création d’un gouvernement de guérison nationale pour permettre d’engager un processus dans le cadre duquel les citoyens se pardonneront les uns les autres. A l’heure actuelle, ces populations n’ont aucune chance de vivre en harmonie avec les personnes qui, hier encore, voulaient les tuer », a-t-il expliqué.
En collaboration avec diverses organisations de la société civile, le MDC estime actuellement les pertes immobilières et mobilières subies pendant la période électorale, et sollicitera ensuite l’aide financière de la communauté internationale pour contribuer à la réinsertion des populations, a expliqué M. Chamisa.
M. Gurajena pense encore à son village. « Certains de mes voisins ont aussi été agressés, et on nous a raconté que certaines personnes du village avaient été tuées. Je dois retourner là-bas pour savoir qui est mort et qui est encore en vie », a-t-il expliqué. « Mugabe a gagné [le deuxième tour des élections présidentielles], alors les vétérans de la guerre devraient nous laisser rentrer chez nous pour reconstruire nos maisons et reprendre le cours de nos vies ».