Au Zimbabwe, un audit foncier exhaustif visant à déterminer à qui appartient quoi, après 10 ans de transferts de terres souvent chaotiques, est aujourd’hui suspendu, faute de financement.
Le président Robert Mugabe avait lancé le programme de réforme agraire accélérée en 2000, afin de redistribuer aux populations noires sans terre les fermes commerciales des exploitants blancs. Cette politique annonçait le rapide déclin économique du pays, la multiplication des pénuries alimentaires et des violences politiques, tandis que le processus de redistribution était de plus en plus accusé de n’être qu’un écran de fumée permettant aux membres de l’élite du ZANU-PF, le parti du président Mugabe, de saisir des terres pour leur propre compte.
L’audit était prévu par l’Accord politique global (APG), signé le 15 septembre 2008 par le président Mugabe, le parti d’opposition Mouvement pour le changement démocratique (MDC) du Premier ministre Morgan Tsvangirai, et une faction du MDC menée par Arthur Mutambara.
L’accord a conduit à la création d’un gouvernement d’unité en février 2009, mais la majorité des donateurs ont suspendu les milliards de dollars de l’aide, préférant attendre d’évaluer le degré d’engagement de M. Mugabe en matière de démocratie.
« Bien qu’elles aient des avis divergents concernant les méthodes d’acquisition et de redistribution des terres, les parties reconnaissent que des acquisitions et redistributions obligatoires ont été pratiquées dans le cadre d’un programme de réforme agraire lancé en 2000 », observait l’APG.
« Par la présente, les parties s’engagent à mener un audit foncier exhaustif, transparent et impartial au cours du mandat du septième Parlement du Zimbabwe, dans le but d’éliminer la propriété multiple et de rétablir l’obligation de rendre des comptes ».
Trois audits fonciers ont été entrepris par l’administration du ZANU-PF, mais leurs conclusions n’ont pas encore été rendues publiques. Herbert Murerwa, actuel ministre des Terres et de la redistribution agraire, a déclaré que son ministère aurait besoin de 31,2 millions de dollars pour procéder à l’audit, qui pourrait durer jusqu’à neuf mois au lieu des trois mois prévus.
« Les 100 jours prévus pour ce projet sont insuffisants et, sans ressources, il est très difficile de mettre le programme en pratique. Nous projetons en outre de mettre sur pied un comité foncier indépendant – un organisme interministériel composé de secrétaires permanents et d’autres membres du gouvernement. Ce comité aura également des ramifications au niveau des provinces et des districts », a annoncé M. Murerwa.
Cependant, Justice for Agriculture (JAG), une organisation de défense des droits des quelque 4 000 exploitants blancs forcés de quitter leurs terres, s’est montrée pessimiste au sujet de l’audit proposé.
« Pour commencer, si on doit réaliser un audit, cela devrait être fait par un organisme indépendant, et non par les membres du gouvernement, qui sont susceptibles d’être eux-mêmes les bénéficiaires du programme en question », a dit à IRIN John Worswick, porte-parole de JAG.
« Je ne crois pas que nous assisterons à un audit exhaustif de sitôt car des hauts responsables [ZANU-PF] du gouvernement, des juges et des militaires ont récupéré de nombreuses fermes – dans certains cas, une même personne possède deux ou trois fermes », a-t-il déclaré.
« Les activités agricoles ont été perturbées par les hauts responsables du gouvernement, qui débarquent dans une ferme et dépouillent le propriétaire de tous ses biens, avant de passer à une autre ferme ». Ces dernières semaines, de nouvelles violences ont eu lieu dans des fermes commerciales.
De plus, Patrick Chinamasa, ministre de la Justice, a annoncé que le Zimbabwe se retirerait du Tribunal de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), suite à un jugement rendu par cette cour en faveur d’exploitants commerciaux, qualifiant leur expulsion de raciste, discriminatoire et illégale en vertu du traité de la SADC. La SADC était chargée de la négociation de l’APG.
Le gouvernement zimbabwéen a en outre l’intention de rappeler un juge muté au Tribunal de la SADC en 2005, bien que M. Tsvangirai ait déclaré que le pays ne se retirerait pas du Tribunal, car il n’y avait pas eu de consultation à ce sujet.
« La décision de retrait du Tribunal de la SADC n’était qu’un commentaire d’un ministre, et elle n’engage donc pas le pays. La question n’a pas été discutée au cabinet, et nous ne pouvons pas être liés par la décision d’un seul ministre ».
Gorden Moyo, ministre d’Etat au cabinet du Premier ministre, a dit à IRIN que le gouvernement essaierait de lever les fonds nécessaires pour mener l’audit, même si cela devait se faire par étapes. Il a annoncé que des propositions de financements avaient été faites, et qu’il était question que l’audit implique également des experts locaux et internationaux.
Pour lui, les nouveaux troubles survenus dans les fermes sont le fait d’éléments marginaux qui veulent nuire au GPA. « Le gouvernement n’a pas encore identifié avec précision la source de ces problèmes, mais ce qui est clair, c’est que certaines de ces actions sont liées à des motifs politiques, et d’autres à la corruption et à des tendances criminelles », a déclaré M. Moyo.
« Le gouvernement dans son ensemble est convaincu qu’un audit foncier exhaustif est important, notamment pour ce qui concerne les questions de propriété multiple, de productivité, de sécurité des régimes fonciers et de transparence ».