Z comme Zut


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Miniature persane et Bal à Bougival
Miniature persane (coll. N. Khouri-Dagher) et Bal à Bougival (Auguste Renoir)

« L’Apprentissage » : Z comme Zut. Un livre délicieux sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. « Lettres persanes » d’aujourd’hui qui seraient écrites par une enfant de migrants, petit manifeste sur la double identité culturelle des Français d’origine étrangère, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre en février 2008, sous le titre « Hammam et Beaujolais ».

De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature…

Z

Zut

Le Français est râleur. Ça, on l’a découvert tout de suite. Le mot même de «râler » nous était inconnu avant de venir en France, à nous qui avions pourtant un vocabulaire sophistiqué – c’est tout dire. Car jamais à Beyrouth ni au Caire nous n’avions entendu, et à cette densité, ce genre de conversations que l’on capte chaque jour en France, dans les bistrots, les bureaux, les métros: ah là là non mais ça va pas du tout, ah non mais vous avez vu ça, mais ils nous prennent pour des cons ou quoi, ah là là là là là lààààà, zut alors !!!!

En Orient, les codes de politesse, de bonne éducation, de savoir-vivre, les codes culturels en bref, imposent que l’on ne se plaigne pas. C’est faire offense à Dieu: l’on se doit au contraire de le remercier pour tout ce que l’on a, même si c’est peu de chose. De dire en son fort intérieur, et donc aussi aux autres, hamdoulillah, grâces à Dieu, même si ça ne va pas. Donc on n’entend pas, dans nos pays d’Orient, comme on l’entend ici, des gens se plaindre continûment et dire qu’ils ne sont pas contents.

Voilà ce qui m’a étonnée, enfant débarquant ici, et qui continue, même après tant d’années, à m’étonner encore:

– Ne pas sourire quand quelqu’un vous salue;
– Répondre en détaillant tout ce qui ne va pas quand on vous demande simplement si ça va;
– Répondre, comme on l’entend parfois, « on fait aller », qui est à l’opposé de notre « hamdoulillah » pour exprimer la même chose: qu’en fait ça ne va pas;
– Pester contre le gouvernement, son patron, ou toute autre autorité hiérarchique: en Orient on n’en pense pas moins parfois mais on ne le dit pas, question de politesse, ce n’est pas bête c’est un code social.

Apprendre à dire zut.
Apprendre à dire non.
Apprendre à râler.
Apprendre à protester.
Apprendre à contester.
Apprendre à réclamer.

Parce qu’on n’est pas contents, et qu’on ose le dire. C’est cela qui fonde la politique dans notre monde moderne. Le débat d’idées. Qui fait avancer le monde. Vaincre l’injustice. Tomber les inégalités. C’est ainsi que l’Occident s’est affranchi de l’esclavage, du racisme anti-noir, de l’anti-sémitisme, du machisme, et d’autres inhumanités, c’est ainsi que l’Occident, depuis cinq siècles, a avancé et a fait, avec lui, bouger le monde entier.

Tout cela, je l’ai appris bien sûr, tout au long de ces années de France.

Mais j’ai gardé au fond de moi, mon âme de femme d’Orient. Et si je sais qu’il est nécessaire, pour les choses publiques, d’exprimer tout fort, et pas seulement pour soi, tout ce dont nous pensons que cela ne va pas, pour faire bouger le monde, lui inculquer chaque jour un peu plus d’humanité car telle est notre mission sur terre, nous entraider les uns les autres, nous aimer les uns les autres finalement, j’ai la pudeur de penser que, pour ce qui seule me concerne, ce que je reçois de la vie est un cadeau béni, les bonnes heures que l’on appelle bonheur comme celles moins claires mais qui le deviendront, et si vous me demandez comment je vais, je vous répondrai, et ce ne sera pas réflexe culturel mais réponse pensée après toutes ces années passées entre ici et là-bas, passées ailleurs aussi, à observer le monde les gens et puis aussi à lire ouvrir les yeux entendre le monde et son chant, je vous répondrai avec la sagesse qui n’appartient pas à mon natif Orient mais qui est universelle partagée par les cinq continents: je vais très bien. Merci. Gracias. Hamdoulillah.

Lire l’interview de Nadia Khouri-Dagher

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