La diaspora africaine en France s’organise et souhaite prendre part, aussi bien au développement de son continent d’origine qu’à la croissance de sa nouvelle patrie, la France. L’économiste Yves Ekoué Amaïzo décrypte cette nouvelle tendance.
Yves Ekoué Amaïzo est le directeur du groupe de réflexion Afrology. Le think tank basé à Vienne, en Autriche, se veut une « source transparente et fiable d’analyses et d’informations » dont l’objectif est d’assister les leaders africains dans leur prise de décision. Afrology regroupe plusieurs sommités africaines dans différents domaines. L’économiste togolais était l’un des invités de l’une des tables rondes organisées, jeudi dernier, par Africagora lors de son 8e forum économiques des diasporas africaines.
Afrik.com : La thématique de la diaspora a été abordée à travers deux prismes. Celui du pays d’accueil, ici la France, et du continent d’origine, l’Afrique. Pourquoi ces problématiques émergent aujourd’hui au sein de la diaspora africaine en France ?
Yves Ekoué Amaïzo : D’un point de vue historique, la diaspora a toujours été considérée comme un élément d’ajustement, au même titre que le continent africain lui-même. J’ai besoin d’uranium : je le trouve en Afrique et je le négocie au prix le plus bas possible. Ce raisonnement valait aussi bien pour les occidentaux que les Africains eux-mêmes, qui avaient migré pour des raisons économiques. Le changement est venu de la conjonction de la perte de compétitivité de la plupart des entreprises françaises en Afrique et de l’accroissement de la compétitivité des entrepreneurs locaux. Cette compétition est l’origine d’un regain de dynamisme, voire d’un regain de dignité chez ces derniers. Ils se sont alors mis en quête de partenaires qui n’étaient plus les partenaires traditionnels occidentaux, mais leurs frères qui avaient des compétences et des contacts. Des partenaires trouvés en Europe, Noirs mais Français ou Européens, disposés à répondre à des besoins locaux.
Afrik.com : Une prise de conscience s’est-elle également faite dans l’autre sens ?
Yves Ekoué Amaïzo : Du côté occidental, français, on s’est aperçu que cette force montante d’Afro-Européens a le droit de vote, qu’ils sont très actifs sur le Net alors que jusqu’ici leur accès à la parole était assez limité. La presse généraliste ne leur donnant pas l’occasion de s’exprimer. Leurs critiques de l’environnement sociopolitique dans lequel ils évoluaient sont apparues au grand jour. Il y a d’abord eu une tentative de récupération, puis une autre, celle que nous vivons maintenant, plus constructive. Cette nouvelle vague dénote une volonté réelle de travailler ensemble. La collaboration n’est possible que si la République met de l’argent de côté et si le secteur privé, la diapora investit et s’investit. L’accumulation des deux devrait donner corps à des projets intéressants.
Afrik.com : Ce qui inquiète dans votre propos, c’est l’intervention de l’Etat français. Une diaspora doit-elle attendre d’être aidée par son pays d’accueil pour investir dans son pays d’origine. N’est-ce pas encore une fois de l’assistanat ?
Yves Ekoué Amaïzo : Un entrepreneur à la tête d’une structure de taille moyenne n’a pas besoin de cela. Quoi qu’il ait besoin d’être soutenu quand il prend le risque d’investir. Pour ceux qui sont moins outillés, la coopération avec leurs pays d’accueil doit venir en synergie de leurs efforts. C’est pour cela que l’aide au développement doit être repensée afin de créer véritablement de la richesse. Ce ne sera plus alors de l’indépendance mais de l’interdépendance. Le codéveloppement doit donc être redéfini par rapport à la diaspora.
Afrik.com : Quel serait donc l’avenir idéal de l’aide au développement ?
Yves Ekoué Amaïzo : Les avis sont partagés sur la question. A en croire les ministres qui sont intervenus lors de cette journée, l’aide au développement reste une aide « publique » au développement. On la donne a un Etat, même si c’est de plus décentralisé par le biais des collectivités locales, et aux ONG. Selon moi, ces ONG doivent disparaître au profit d’entreprises si leurs activités sortent du cadre social, celui qui est habituellement le domaine d’intervention de ces organisations. Certaines créent de la richesse comme des entreprises. Pourquoi, par exemple, une entreprise du Nord qui transforme de la pomme de terre ne viendrait pas aider une entreprise africaine à produire des produits à base d’igname ? C’est pourquoi je propose de créer un statut de l’entreprise jumelée, qui est transfrontalière pas essence.
Afrik.com : L’appui que vous suggérez est finalement plus institutionnel que financier ?
Yves Ekoué Amaïzo : Il faut un cadre, une zone d’intervention pour le codéveloppement, au-delà de la question financière bien qu’elle soit fondamentale.
Afrik.com : Que pensez-vous du statut d’auto-entrepreneur dont Hervé Novelli, secrétaire d’Etat aux entreprises et au Commerce extérieur, a dévoilé les grandes lignes lors de cette journée ?
Yves Ekoué Amaïzo : C’est un bon produit parce que le système décrit permettra de créer de la richesse et de s’acquitter a posteriori plus tard, des taxes exigibles sur les bénéfices éventuels. Contrairement à la pratique actuelle qui veut que l’administration fiscale impose l’entrepreneur sur une activité qui n’a pas encore été lancée. Le secrétaire d’Etat l’a souligné, c’est un projet qui bénéficiera aux banlieues où il s’agit d’encourager l’émergence d’initiatives liées à des talents individuels. C’est sur ce mode que le secteur informel fonctionne en Afrique. Cependant, ce dispositif doit s’accompagner d’un accès facilité au crédit pour développer son entreprise.
Afrik.com : En quoi un auto-entrepreneur se différencie d’un artisan ?
Yves Ekoué Amaïzo : Tel que l’artisanat est pensé aujourd’hui en France, l’artisan est soumis à un statut fiscal particulier qui correspond à un forfait. Dans le cas de l’auto-entrepreuneur, il ne paie rien avant que son activité génère de la richesse.
Afrik.com : Peut-on dire que la diaspora africaine en France est dynamique ?
Yves Ekoué Amaïzo : Tant qu’il n’y aura pas de politique de discrimination positive, elle ne le sera pas suffisamment. Les Américains y ont eu recours pour rééquilibrer une inégalité raciale. Une telle politique n’est pas appelée à durer et elle doit être menée de façon intelligente. Le Brésil l’a fait mais de façon inefficace. Beaucoup de Noirs n’ont pas été sélectionnés sur les critères adéquats. On prend des gens qui n’ont pas le niveau requis, on les pousse, on les met à la tête d’une entreprise qu’ils conduisent à la faillite et on dit que ça ne marche pas. L’efficacité doit prévaloir à toute politique de discrimination positive pour qu’elle ne produise pas d’effets contraires.
Afrik.com : Vous êtes pour ou contre les statistiques ethniques qui ont été rejetées récemment en France par le Conseil constitutionnel ?
Yves Ekoué Amaïzo : Les statistiques sont nécessaires mais elles ne doivent pas être utilisées contre les minorités visibles. Les Sages ont plutôt contesté leur utilisation et la façon dont elles seraient collectées. Quand on parle de minorités visibles, ce sont les statistiques qui parlent. Si je n’avais pas de statistiques, je ne pourrais pas dire que 35% des personnes discriminées en France sur le marché de l’emploi le sont à cause de leur origine.
Afrik.com : La question de l’immigration choisie, la façon dont les futures diasporas arrivent dans leur pays d’accueil, et leur intégration en tant que diasporas dans leur pays d’accueil, sont-elles des thématiques liées ?
Yves Ekoué Amaïzo : L’immigration choisie est un mauvais terme. On devrait plutôt parler de « migration négociée ». D’abord, parce qu’il est plus approprié de parler de « migration » que d »’immigration » parce que les gens bougent, et ensuite, parce qu’on ne choisit rien. On est souvent condamné à faire, au sens noble du terme. Si j’étais bien chez moi au Togo ou au Lesotho, je ne serais pas ici. Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux (le ministre de l’Immigration, ndlr) ont évolué dans ce sens. Ils parlent plutôt maintenant d' »immigration concertée ». Quand on négocie, par définition, le choix est fait. Mais il ne faut pas que cette négociation se limite aux Etats dont certains y trouveraient la parade pour détruire leur opposition. Ces thématiques sont bien évidement liées. Néanmoins, ce n’est qu’une photo. Celui qui commence à voyager, un migrant, ne peut être comparé à quelqu’un qui est installé, un membre de la diaspora. Mais cette diaspora, y compris le président, est venue de quelque part et s’est ensuite intégrée. Il est impératif de ne pas les opposer.
Afrik.com : Selon les chiffres que vous donnez, les Africains envoient finalement moins d’argent que les Asiatiques dans leur pays d’origine ?
Yves Ekoué Amaïzo : La proportion est de un a huit. Les montants ne sont pas énormes parce que les diasporas africaines ne sont pas riches, nos entreprises ne sont pas nombreuses.
Afrik.com : Ces transferts créent-ils de la richesse ?
Yves Ekoué Amaïzo : Les transferts ont plutôt un impact sur la consommation. Beaucoup moins sur la production parce que l’argent va vers des familles pauvres. Ce qui veut surtout dire que la pauvreté augmente en Afrique en dépit des taux de croissance de 5, 6% qui sont enregistrés. La croissance ne profite donc pas à la population mais à quelques uns. Elle n’a aucune incidence sur le PIB par habitant. Par ailleurs, il y a une inégalité que je combats actuellement. Quand je transfère de l’argent de Vienne vers Paris, ça se fait gratuitement, dans le cadre d’un compte IBAN parce que nous sommes dans la même zone monétaire, celle de l’Euro. Mais comment se fait-il que de l’agent qui parte d’ici vers le Togo, le Bénin ou ailleurs dans la zone franc, soit taxé alors que le Franc CFA appartient à la zone Euro de par son arrimage à la monnaie européenne ? Qu’il soit taxé jusqu’à 30% par des sociétés que nous connaissons ? En d’autres termes, c’est 30% de l’épargne des Africains qui restent dans les pays riches. Il faut que les diasporas s’organisent pour obtenir que les transferts soient gratuits, au travers par exemple d’un Haut conseil des diasporas. Il porterait l’affaire devant le ministère des Finances pour dénoncer cette discrimination, ou devant la Cour européenne de justice pour avoir gain de cause si une solution satisfaisante n’est pas trouvée.
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