Une idée, de l’audace, quelques dinars, une solide formation universitaire : cocktail détonnant pour introduire Internet en Algérie. Et devenir Monsieur Internet du pays. Portrait d’un informaticien qui a happé les Algériens dans les filets de la toile.
» En 1997, je me suis dit que l’Internet était le seul créneau juteux et vierge en Algérie « , se rappelle Younès Grar, ancien ingénieur en génie électrique, en intégrant l’entreprise familiale Gecos. » Younès est un fonceur entêté. Il sait où il va et il y va très vite « , confie un webmaster. En prenant les rênes de Gecos, spécialisée dans la vente d’équipements informatiques, Younès, 41 ans, décide de se diversifier. » C’était une période difficile : le terrorisme semait la mort et la diffusion de l’information était un domaine très sensible. J’ai procédé en deux étapes : toucher le grand public par les cybercafés et les décideurs économiques par les médias « , se souvient Younès, père de quatre enfants.
Il installe le premier cybercafé dans la capitale en septembre 1997. » Le succès fût immédiat. Les jeunes bravaient l’insécurité en allant surfer jusqu’à une heure très tardive « . Aujourd’hui, il y a plus de six cent cybercafés en Algérie dont cent cinquante à Alger. Hydra, banlieue chic d’Alger, détient le record national. Quinze cybercafés s’y sont implantés sur un rayon de 500 m2. Cette initiative était aussi un test pour le gouvernement algérien. » On ne savait pas comment l’Etat allait réagir. Nous avons lancé ce ballon d’essai car il y avait un vide juridique « . L’Etat ne réagit pas.
L’Etat, les satellites et moi
Vulgariser Internet. Les médias ont servi de détonateur pour l’expansion de Gecos. » Notre stratégie se résumait à un poker-menteur. Ou nous réussissons notre coup et notre avenir est sauvé ou nous échouons et signons, par là, notre acte de décès « . Cela a marché. Le quotidien El-Watan accepte d’être le premier site en ligne. » Omar Belhouchet (directeur d’El-Watan, ndlr) a été le seul à comprendre les enjeux de l’Internet. C’est le seul qui a répondu à mes mailings. Les autres journaux ont suivi. Aujourd’hui, on en héberge une vingtaine « . Pari gagné. » Je suis contre le monopole mais notre entreprise en est devenue un de facto « .
L’ouverture médiatique a élargi les horizons. Les institutions publiques, rassurées, acceptent de passer par Gecos pour leurs sites. » Nous avons réalisé les sites des principaux ministères, du Parlement et du Conseil constitutionnel « . Même la toute puissante entreprise des hydrocarbures, SONATRACH, lui confie la réalisation de son site. » Avec Younès, les problèmes se règlent d’eux-mêmes. Il insuffle une » dynamique démocratique « . Tout est discuté en toute démocratie. Mais je conviens que je ne suis pas bien placé pour parler de lui « , remarque Abdelatif, son frère cadet de dix ans.
Internet, téléphonie et les Etrangers
» Notre chiffre d’affaires est actuellement de 80 millions de dinars ( 1 FF = 10 DA). Notre ambition est de nous lancer dans la téléphonie. On a déposé un dossier d’agrément auprès du ministère des Postes et Télécommunications et nous attendons la réponse. Nous sommes prêts « , se réjouit Younès. Car depuis 1999, Gecos est devenue un fournisseur d’accès. Elle compte 1 000 abonnés, essentiellement des entreprises et des cybercafés. » Nous avons importé une station satellite d’émission-réception. Les autorités algériennes n’étaient pas habituées à ce qu’une entreprise privée fasse un travail professionnel dans ce domaine « .
Cette expansion a déjà fait une victime. » L’unique fournisseur historique, le CERIST, entreprise d’Etat, a eu beaucoup de difficultés à comprendre que les institutions publiques puissent aller vers le privé. Nos partenaires nous présentent comme le premier provider algérien « , remarque avec une pointe d’orgueil, l’ancien étudiant de 3ème cycle de Louvin, université belge.
» Gecos doit rester dans la famille. C’est pour cette raison que nous avons refusé de vendre des parts aux partenaires étrangers. Les firmes internationales voulaient racheter toutes les parts. On a donc choisi de céder ces parts aux investisseurs algériens « , explique Younès.
» Je décrirais Younès en trois mots : présence, flair et sens des affaires « , résume Kamel, ingénieur dans une entreprise concurrente. Internet, en Algérie, est un bébé de quatre ans à peine. Gecos est vieille de presque huit ans. Le mariage est, pour l’instant, bien parti. A suivre.