Classified People, le documentaire de Yolande Zauberman tourné clandestinement en plein Apartheid en 1987 en Afrique du Sud, sort en DVD. Une plongée au cœur du système de classification des races mis en place par le régime ségrégationniste de l’époque.
Bonne nouvelle. Les trois excellents films de Yolande Zauberman, Classified People (documentaire couleur de 1987), Caste criminelle (documentaire couleur de 1989) et Moi Ivan, toi Abraham (long métrage en noir et blanc de 1993) sortent en DVD. Une belle occasion de (re)découvrir ce cinéma « de résistance par l’intime », comme il a été nommé par certains critiques. Classified People a été tourné dans la clandestinité en plein Apartheid (1948-1994). Yolande Zauberman est partie en 1987 en Afrique du Sud pour filmer ce qui est à la base même du système : la « classification » des races.
Elle est tombée sur Roger et Doris, un vieux couple terriblement attachant, et ne les a plus quittés. Elle a filmé leur histoire pour mieux dénoncer les déchirures sociales et familiales engendrées par le système ségrégationniste. Roger, 91 ans, est né de père métis et de mère blanche. Il a la peau claire et vit avec Doris, 71 ans, sa deuxième femme, noire. Lors de la Première guerre mondiale, Roger s’engage et part combattre en Europe. Il se marie en France, avec une femme blanche qui lui donne 3 enfants. Après un retour en Afrique du Sud, la vie de la petite famille bascule. En 1948, l’Apartheid est instauré : la femme et les enfants de Roger sont « classés » blancs. Pas lui. Sa femme préfère le laisser tomber pour rester totalement blanche…
La classification au quotidien
La réalisatrice ne porte pas de jugement, elle filme juste au cœur de l’humain et de l’intime, sans fards et sans effets. Son documentaire est traversé par des éclairs de haine qui sortent d’une inquiétante pénombre : dans une ruelle mal éclairée, un homme blanc, passablement émêché, s’en prend aux Noirs de son pays. « Un nègre c’est quoi ? C’est pas un homme, c’est un chien. Ça n’a aucune humanité ou spiritualité. Ce n’est que de la merde ! » éructe-t-il. Ou encore : « Maintenant, les Noirs veulent accéder au pouvoir mais comment vont-ils faire ? Ils n’ont pas de cervelle… »
En parallèle, Roger, 23 ans, jeune Blanc né au Cap, parcourt les ghettos noirs et explique, plein d’amertume, comment « la classification raciale a engendré le développement séparé, responsable de toutes les atrocités de l’Apartheid ». Personne n’échappe à cette classification. Des commissions ont été mises en place dans les années 50, sortes de mini-tribunaux chargés de définir à quelle catégorie vous appartenez et quels droits s’y rattachent. Un journaliste indique : « Mes deux frères sont blancs, moi je suis métis. Je ne peux pas voter, eux si. J’ai eu la possibilité d’être ‘reclassé’. Mais pourquoi changerais-je de race ? J’ai eu le choix entre être rejeté comme homme de couleur ou changer ma classification et être accepté comme Blanc. J’ai choisi de rester comme je suis. » Il raconte les tests humiliants pour passer du côté des Blancs, comme celui du crayon dans les cheveux : s’il tombe, c’est que vous avez les cheveux raides et que vous êtes sur la bonne voie. S’il est reste accroché, c’est un signe de cheveux crépus… Alors que l’Afrique du Sud n’en finit pas de vouloir tourner la page de l’Apartheid, Classified people est un témoignage essentiel sur ce que fût le système de la séparation des « races ».
Classified People de Yolande Zauberman, 1987, documentaire couleur, 60′.