Sur les traces d’Amina l’Africaine, Yasmina la Maghrébine donne la parole aux femmes arabes. Le nouveau magazine, distribué des deux côtés de la Méditerranée, souhaite mettre les femmes en réseau et montrer leur vitalité dans le monde arabe.
C’est la belle chanteuse algérienne Souad Massi qui étrenne la couverture de Yasmina, dernière-née de la presse magazine féminine. A destination des femmes maghrébines, Yasmina est tirée à 30 000 exemplaires et distribuée en kiosque en France et au Maghreb.
La rédactrice en chef, Nadia Khouri-Dagher, Libanaise née en Egypte, journaliste spécialisée sur le monde arabe depuis 20 ans, revient sur la création du titre dont le premier numéro est sorti la semaine dernière.
Afrik : Quel est le concept de Yasmina ?
Nadia Khouri-Dagher : Le magazine est né sur le modèle d’Amina, qui s’adresse aux femmes africaines et des Caraïbes. C’est le même groupe, la même philosophie : créer un pont entre les pays concernés et la France. Nous souhaitons rendre service aux femmes du Maghreb comme Amina l’a fait pour l’Afrique et faire émerger la parole des femmes du Maghreb. Yasmina est l’écho des voix des femmes qui bougent et par-là même font bouger le monde arabe en faisant avancer la démocratisation.
Afrik : Pourquoi sortir un tel magazine ?
Nadia Khouri-Dagher : Les femmes arabes ont beaucoup bougé ces trente dernières années. Il y a toute une génération de femmes qui ont entre 30 et 50 ans et se retrouvent à des postes clés de la société. Elles sont médecins, avocates, chercheurs. Yasmina parle d’elles. Dans le Nord, l’image du monde musulman en général est assez négative et celle des femmes en particulier très caricaturale : c’est toujours la femme soumise qui reste à la maison. Or ce n’est pas vrai. Les femmes maghrébines jouent un rôle de plus en plus important dans la société. Elles s’impliquent politiquement et socialement, s’investissent dans leur pays. En Algérie, au Maroc ou en Tunisie, de nombreuses étudiantes travaillent, le plus souvent bénévolement, pour combattre et guérir des problèmes comme ceux des enfants des rues, des mères célibataires ou des handicapés. En France, on retrouve les femmes immigrées dans le secteur associatif. Elles sont très actives sur le terrain, effectuent un travail remarquable qu’il faut mettre en avant.
Afrik : Yasmina s’adresse donc aux femmes des deux rives…
Nadia Khouri-Dagher : Tout à fait. La presse française parle souvent de l’immigration en termes négatifs. Les voyous qui mobilisent l’attention ne sont qu’une minorité. 90% des familles maghrébines sont intégrées. A tel point que l’on parle aujourd’hui de » beurgeoisie « *. Yasmina montre l’intégration à l’oeuvre. Celle-ci passe le plus souvent par la femme : c’est elle la médiatrice sociale (avec l’école, la mairie…) et c’est elle l’interface entre la culture d’origine et la culture d’accueil. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont souvent les mères qui font accéder leurs filles à la modernité, en leur permettant de porter un jean ou de se lâcher les cheveux.
Afrik : Vous interviewez des femmes d’affaires, des responsables d’associations mais également de nombreuses artistes.
Nadia Khouri-Dagher : L’idée est de valoriser le potentiel créatif du Maghreb et du monde arabe. Les pays du Sud bougent et ceux du Nord n’en ont pas toujours conscience. Chaque pays a ses points forts comme la mode au Liban ou les nouvelles technologies au Maroc. Avec les paraboles et Internet, le Sud vit au même rythme que le Nord. C’est pourquoi la mise en réseau des femmes du Nord et du Sud est très importante. Nous signalons autant que possible les contacts des femmes interviewées afin de créer des synergies, provoquer des rencontres.
Afrik : Yasmina s’adresse aux Maghrébines mais parle aussi des autres pays arabes.
Nadia Khouri-Dagher : Bien sûr. Nous sommes distribués au Maghreb car c’est une aire linguistique et culturelle à part entière dont est issue la majorité de la population arabe vivant en France. Mais nous sommes ouverts sur l’ensemble de l’aire arabo-islamique. Ce type de magazine permet le dialogue des cultures. A l’heure où l’on parle de choc des civilisations, il est frappant de voir combien les femmes maghrébines installées en France ne perçoivent aucune opposition entre leurs deux cultures et qu’elles les revendiquent. Elles se disent franco-algérienne, franco-marocaine ou franco-tunisienne. Une femme que j’ai interviewée m’a avoué qu’elle ne voulait pas choisir entre être Algérienne ou Française. Elle veut être les deux. Il y a une proximité culturelle énorme entre l’Orient et l’Occident. Alger est plus proche de Marseille que de Kaboul. Nous avons une culture méditerranéenne commune.
* La beurgeoisie : les trois âges de la vie associative issue de l’immigration, de Rémy Leveau et Catherine Withol de Wenden (mai 2001, CNRS).