
Distingué par le prestigieux prix Pepe Carvalho à Barcelone, l’écrivain algérien Yasmina Khadra livre un regard sans concession sur la situation internationale et dénonce l’hostilité dont il fait l’objet en France, où d’autres auteurs algériens naturalisés français connaissent un sort plus favorable.
Un prix prestigieux qui consacre une œuvre majeure
L’écrivain algérien Yasmina Khadra, pseudonyme de Mohammed Moulessehoul, a reçu la semaine dernière le prix Pepe Carvalho 2025 à Barcelone. Cette récompense, créée en 2006 en hommage au personnage emblématique de Manuel Vázquez Montalbán, distingue chaque année un auteur pour sa contribution au roman noir et policier.
Parmi les lauréats précédents figurent des noms prestigieux comme Dennis Lehane, James Ellroy et Donna Leon. Lors de la cérémonie organisée dans le Saló de Cent de la mairie de Barcelone, le maire Jaume Collboni a salué en Khadra « l‘un des écrivains francophones les plus lus et peut-être l’un des écrivains arabes les plus traduits« .
L’auteur a profité de cette occasion pour réaffirmer l’importance du roman policier dans la littérature contemporaine. « Le polar est une fenêtre ouverte sur le monde, un miroir des tensions et des fractures qui le traversent« , a-t-il souligné, défendant un genre trop souvent considéré comme mineur malgré sa capacité à explorer les dérives de nos sociétés.
Une reconnaissance contrastée entre l’Espagne et la France
Cette distinction espagnole contraste fortement avec la situation de l’auteur en France, où il dénonce une hostilité persistante. « En France, il semble qu’il n’existe que des écrivains envieux et des journalistes racistes. Dans des journaux comme Le Monde, on me dit déjà qu’il leur est difficile de publier quoi que ce soit sur moi si ce n’est pour me discréditer. » Cette situation est d’autant plus frappante que d’autres écrivains algériens, comme Boualem Sansal, proche de l’extrême droite française, ou Kamel Daoud, récent lauréat du Goncourt, jouissent d’une reconnaissance importante dans l’Hexagone. Une différence de traitement que certains attribuent au fait que ces derniers ont opté pour la nationalité française, contrairement à Khadra qui a conservé sa nationalité algérienne.
Cette mise à l’écart relative du paysage littéraire français n’a pourtant pas empêché ses livres de rencontrer un large public, ni d’être traduits dans de nombreuses langues. Ses romans, qui abordent souvent des sujets brûlants d’actualité, de l’Afghanistan à la Palestine, en passant par l’Irak, sont salués pour leur capacité à décrypter les conflits contemporains tout en préservant une profonde humanité.
Un regard lucide sur un monde en crise
Profitant de cette tribune barcelonaise, l’auteur des « Hirondelles de Kaboul » et de « L’Attentat » a livré une analyse sombre de la situation internationale. Il s’est particulièrement inquiété des conséquences de l’interventionnisme occidental au Moyen-Orient et des humiliations subies par les peuples arabes. « Nous vivons la période la plus insensée de notre époque. Les grandes puissances jouent à Dieu avec la vie des peuples, et l’impunité des décideurs nourrit une spirale de violences sans fin« , a-t-il déclaré. « Le monde musulman peut pardonner l’injustice, mais il ne pardonne pas l’humiliation« , a-t-il ajouté, mettant en garde contre les conséquences potentiellement dramatiques de cette situation.
Malgré ces constats pessimistes, Khadra poursuit son œuvre littéraire. Son dernier roman, « Cœur-d’amande« , paru en septembre, raconte le parcours d’un homme confronté à l’exclusion en raison de son nanisme, une métaphore de la capacité à surmonter l’adversité dans un monde hostile. Ce nouveau livre, dans la lignée de Cinema Paradiso, marque une évolution dans son écriture tout en conservant ses thèmes de prédilection : la résilience face à l’adversité et la quête de dignité.
Face aux tumultes du monde et à la montée des discours de haine, Khadra reste convaincu du rôle fondamental de l’écriture comme acte de résistance. « J’ai parfois pensé à abandonner la littérature, mais c’est elle qui m’a rappelé que le silence serait une défaite« , conclut celui qui demeure l’un des écrivains vivants les plus traduits au monde.
Un parcours littéraire hors du commun
Né Mohammed Moulessehoul en 1955 à Kenadsa, dans le Sahara algérien, Yasmina Khadra a longtemps écrit sous son véritable nom avant d’adopter ce pseudonyme féminin. « Yasmina Khadra sont les deux prénoms de ma femme qui en a trois ! Elle ne les aimait pas, je les ai adoptés. Et ils m’ont porté chance » nous avait-il expliqué en 2001. Cela pour échapper à la censure militaire. Car avant d’être écrivain à plein temps, il fut pendant 36 ans officier dans l’armée algérienne, participant notamment à la lutte contre le terrorisme durant la « décennie noire ». Ce n’est qu’en 2001 qu’il révèle sa véritable identité.
Depuis, il a publié plus d’une vingtaine de romans traduits dans 52 pays, dont plusieurs best-sellers internationaux comme « Les Hirondelles de Kaboul », « L’Attentat » ou « Ce que le jour doit à la nuit« . Son œuvre, qui mêle avec brio polar, roman noir et littérature engagée, lui a valu de nombreuses distinctions internationales. Le président algérien, M. Abdelmadjid Tebboune, a félicité hier le lauréat en ces termes : « Au vaillant fils de l’Algérie, Mohamed Moulessehoul, dit Yasmina Khadra…félicitations pour ce Prix qui vous a été décerné par l’Espagne, pays ami, et qui honore, une fois de plus, votre grand talent de romancier. Félicitations à la culture algérienne. Je vous souhaite davantage de succès « ,