Invitée au 6e Forum mondial du développement durable, qui se déroule à Brazzaville, la capitale du Congo, du 27 au 30 octobre, Wangari Maathai multiplie les appels à l’unité et à l’action en direction des Etats africains. Elle rappelle aussi aux représentants des pays riches leurs devoirs vis-à-vis du continent. Pour elle, le concept de développement durable doit être mis en pratique pour que les forêts africaines soient sauvegardées. Un objectif qui ne pourra être atteint sans une volonté politique forte. Entretien.
Notre envoyé spécial à Brazzaville
La militante écologiste et politique kényane Wangari Muta Maathai, surnommée Tree woman (la femme des arbres) pour les nombreuses actions qu’elle a menées dans son pays contre la déforestation et pour le reboisement, poursuit son combat à l’échelle internationale. L’un de ses principaux chevaux de bataille est, aujourd’hui, la protection de la forêt du bassin du Congo. Elle prend une part active au 6e Forum mondial du développement durable au cours duquel elle incite sans cesse les Etats africains à s’unir et à prendre leurs responsabilités. Le Prix Nobel de la paix, obtenu en 2004, et son rôle d’ambassadrice itinérante de la forêt du Congo [[Le président congolais Denis Sassou N’Guesso l’a élevée au rang d’ambassadrice en 2005]] n’ont pas entamé sa bonhommie et sa disponibilité. C’est en toute décontraction qu’elle s’est prêtée aux questions d’Afrik.
Afrik.com : Vous assistez au 6e Forum mondial du développement durable, à Brazzaville. Mettez-vous beaucoup d’espoir dans cette rencontre ?
Wangari Maathai : Certainement ! J’espère qu’il en sortira une volonté d’agir. Beaucoup des exposés présentés lors des ateliers ont fait part d’informations que nous connaissions déjà. Donc la vraie question est : pouvons-nous agir après avoir discuté ? Pouvons nous faire bouger les choses ? Pour moi, c’est là que réside le plus gros défi ! J’espère, par exemple, qu’un accord sera trouvé pour que la question de la protection de la forêt du bassin du Congo soit prise en compte lors de la prochaine étape du processus de négociations post-Kyoto qui se déroulera bientôt à Copenhague. J’espère également que les Etats africains s’uniront pour protéger leurs forêts, et qu’ils investiront dans les sciences et les technologies pour que les énergies hydraulique, éolienne, solaire soient exploitées.
Afrik.com : Qu’est-ce qui, de votre point de vue, freine le plus la mise en action d’un développement durable en Afrique ?
Wangari Maathai : L’Afrique devrait investir essentiellement dans l’éducation, et plus particulièrement dans les sciences et la technologie. Je pense que ses lacunes dans ces domaines sont l’une des raisons pour lesquelles elle reste à la traîne. Elle n’investit pas assez dans l’éducation de son peuple. Elle devrait en particulier donner à ses populations des connaissances qui lui permettront d’utiliser les ressources naturelles qui sont à leur disposition. On dit que l’Afrique est pauvre. L’Afrique n’est pas pauvre, ce sont les Africains qui sont pauvres ! L’Afrique est riche, et ce dont les Africains ont besoin ce sont les connaissances, les méthodes, les capitaux qui les rendront capables d’utiliser les ressources de la planète et de produire du bien-être.
Afrik.com : Dans nombre de pays africains, la démocratie reste un vœu pieu. Pensez-vous que le développement durable soit possible sans elle ?
Wangari Maathai : Développement durable veut dire : utiliser les ressources que l’on a sans nuire au futur des générations suivantes qui devront être capables de subvenir à leurs besoins primaires. Cette définition montre que si l’on n’a pas un système démocratique et un gouvernement responsable prêt à partager équitablement les ressources, il est difficile de gérer lesdites ressources. Sans démocratie, l’on se retrouve souvent avec quelques personnes qui accumulent les richesses et détruisent le présent et le futur de la population de leur pays. Quand certaines personnes disent qu’on a besoin de démocratie pour établir un développement durable, c’est vrai. Mais on a besoin de plus encore que la démocratie. On a besoin de volonté politique et de solidarité entre Etats et continents.
Afrik.com : C’est donc cette solidarité et le sentiment d’une responsabilité partagée qui, selon vous, pourraient protéger l’Afrique…
Wangari Maathai : L’Afrique est l’une des dernières frontières de la biodiversité, grâce en particulier à la forêt du Congo. L’ironie veut que ce soit grâce à l’absence de développement que cette réserve de biodiversité existe encore. Il est nécessaire que l’Afrique ne la détruise pas à cause de son sous-développement et de ses besoins immédiats. Il faut agir pour préserver un patrimoine qui n’a pas de prix, ne pas le vendre pour des cacahuètes parce qu’on a besoin d’argent. L’Afrique doit être aidée, et spécialement par le monde développé parce qu’il a une grande responsabilité dans l’émission de gaz à effet de serre.
Afrik.com : Pensez-vous que ce monde développé mettra la main à la poche alors que sévit la crise financière ?
Wangari Maathai : Avec la crise, beaucoup de gouvernements disent qu’ils n’ont pas assez d’argent pour financer le développement durable. Mais c’est justement ce pour quoi l’on devrait trouver de l’argent. C’est extrêmement important pour les générations présentes et futures. Quoiqu’on fasse, on ne peut pas manger l’argent : on a besoin d’eau potable, de nourriture, d’air pur… c’est là que l’argent devrait aller. Les gouvernements ne devraient pas chercher d’excuses à cause de la crise financière. La crise financière est venue, elle repartira, et on sera toujours là avec nos besoins fondamentaux.
Afrik.com : La dégradation de l’environnement sera-t-il, selon vous, le grand sujet d’inquiétude des générations futures ?
Wangari Maathai : Je pense que les générations futures ne devraient pas être trop inquiètes ni désespérées, parce que la génération actuelle a des responsabilités vis-à-vis d’elles. La génération actuelle doit faire tout son possible pour arranger la situation. Cependant, les générations futures pourront, elles aussi, faire beaucoup pour la planète, en adoptant un mode de vie différent qui garantira leur survie ainsi que celle de leurs enfants. Elles devront prendre conscience que chaque jour de leur vie elles peuvent prendre des décisions positives pour leur bien-être et celui de la planète.
Afrik.com : Dans votre pays, le Kenya, vous prenez une part active à la vie politique et sociale. Vous avez adopté une position très ferme contre la violence pendant la crise qui a éclaté lors des dernières élections présidentielles. La tension, finalement, est redescendue. Le camp du président Kibaki et l’opposition ont, en avril, trouvé un accord. Estimez-vous que les problèmes sont, aujourd’hui, résolus ?
Wangari Maathai : Non. Les problèmes politiques ne sont jamais définitivement résolus, mais ils peuvent être atténués. Le problème que nous avons entre nous, au Kenya, prend sa source dans l’époque coloniale. Il n’a pas été résolu, car il nécessite que les gens changent d’état d’esprit sur la façon dont ils se représentent ce que c’est que d’être Kényan, et qu’ils se sentent chez eux au Kenya sans avoir besoin de se référer aux barbelés que l’administration coloniale nous a mis dans la tête. C’est un problème que malheureusement toute l’Afrique connaît. Les politiciens qui s’affrontent pour le pouvoir instrumentalisent la question de la terre pour arriver à leurs fins. Mais je pense que nous aurons la paix au Kenya jusqu’aux prochaines élections. Cependant, le problème de fond reste que beaucoup trop d’entre nous, Kenyans, ne nous acceptons pas les uns les autres. Il y a des gens qui ont été déplacés et qui vivent dans des camps jusqu’à maintenant. Certains sont traumatisés et ont besoin d’être entendus. Si, sur le plan politique, les choses se sont calmées, il nous reste tout de même beaucoup de travail à faire.
Afrik.com : Sur le plan international, les élections américaines prennent une très grande place dans l’actualité. Quel regard portez-vous sur cet événement ?
Wangari Maathai : Les élections américaines sont importantes pour le reste du monde. Ce qui se passe aux Etats-Unis affecte le reste de la planète. Ces élections sont une étape importante, car nous quittons l’ère du gouvernement Bush pour rentrer dans une nouvelle ère. C’est important de savoir qui les Américains vont élire… Comme vous le savez, le sénateur Obama a des origines kényanes. Pour cette raison, l’Afrique et le Kenya, en particulier, l’observent avec beaucoup d’intérêt. Nous espérons, s’il gagne, qu’il rendra la planète plus sûre.
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