Walide Khyar : « En 5 mn de combat, j’ai pris 10 ans… »


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Walide Khyar (Crédit photos : Jean-Paul Loyer)
Walide Khyar (Crédit photos : Jean-Paul Loyer)

Il est jeune, plein de fougue et animé d’une rage permanente de vaincre. Il monte sur le toit du judo européen en 2016, devenant, après Teddy Riner, le deuxième champion d’Europe de judo le plus jeune de l’histoire de la France. Mais son ambition ne s’arrête pas là. Walide Khyar, judoka franco-marocain, veut remporter la médaille d’or olympique, devenir une légende… Il s’est confié à Afrik.com, dans une interview exclusive.

Afrik.com : comment êtes-vous venu au judo ? Sentiez-vous des prédispositions naturelles à ce sport précisément ?
Walide Khyar : Plus jeune, j’étais un enfant hyperactif qui ne tenait pas sur place ; j’étais une personne qui avait besoin de faire une activité, que ce soit sportif ou une activité extérieure. J’ai fait pas mal de sports : du football pendant longtemps, avec les copains en classe, du ping-pong, de l’athlétisme, précisément de la natation. Mais le judo a été l’un de mes premiers sports en compétition. J’ai réussi à faire de la compétition grâce au judo. J’ai également fait beaucoup de théâtre et ça, c’est quelque chose que j’aime encore et continue de faire aujourd’hui. Bref, je ne sais pas réellement si j’avais des prédispositions au judo, mais ce qui est clair, c’est que j’étais une personne très active, qui aimait beaucoup le sport, qui avait envie de bien faire et qui se donnait les moyens d’y arriver.

Dès le plus jeune âge, j’étais quelqu’un qui savait que pour gagner quelque chose, il fallait fournir des efforts. De cette manière, on peut dire que j’étais prédisposé à faire du sport de haut niveau. Tout petit, j’avais cette rage de vaincre et je me suis accroché au judo parce que c’est un sport individuel où on se retrouve face à un seul adversaire, et à la fin, il n’y a qu’un gagnant qui sort du tapis. Voilà fondamentalement ce qui m’a plu dans ce sport vers lequel je suis arrivé par pur hasard. Aucun membre de ma famille ne pratiquait le judo ; mais je me suis très vite accroché à cause des valeurs, du code moral que ce sport promeut. Grâce au judo, il m’est arrivé beaucoup de bonnes choses. 

Vous êtes très précoce et avez de nombreuses médailles à votre actif. En 2011, à 16 ans, vous étiez vice-champion d’Europe cadet ; en 2016, vous avez remporté la médaille d’or au championnat d’Europe, à Kazan. Vous aviez 21 ans. Quel effet cela vous avait-il fait ?
Cette médaille décrochée en 2011 était ma toute première médaille européenne, en championnat officiel. C’était donc une très belle médaille qui a ouvert la voie à d’autres médailles encore plus belles. Par exemple, j’ai par la suite remporté les jeux olympiques de la jeunesse en battant celui qui m’avait battu en finale du championnat d’Europe cadet, soit tout juste trois semaines après sa victoire sur moi, et ceci à un championnat encore plus important. En tant que sportif, c’est sûr que tout ceci nous met sur un bon chemin, puisqu’on va dire qu’on connaît les championnats d’Europe. Quand on obtient une médaille en championnat d’Europe cadet et qu’on arrive au championnat niveau junior, on est plus à l’aise, moins stressé. Donc j’étais déjà préparé ; ensuite, j’ai gagné le championnat d’Europe junior en 2015, soit 5 mois avant d’être champion d’Europe senior.

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Photo par @Jean-Paul Loyer

Cette victoire au championnat d’Europe senior était quelque chose d’incroyable, de surhumain, carrément, de ma part. Aujourd’hui, je peux le dire, j’ai été très bien entraîné et mon objectif, c’était d’être champion olympique en 2016, tout juste en sortant des juniors. Du coup, j’ai travaillé dur et j’ai réussi à atteindre l’étape de qualification qu’était le championnat d’Europe senior. A la veille de ce championnat pour lequel nous étions deux dans ma catégorie (les – 60 kg, ndlr), un entraîneur national avait dit que c’est celui qui allait réaliser la meilleure performance qui serait désigné pour aller aux Jeux Olympiques. Je l’ai pris au sérieux, et le lendemain, j’étais champion d’Europe.

C’était une journée où je m’étais senti invincible ; vous savez, il y a des journées comme ça où on est dans une bulle, j’allais dire au top de ce qu’on peut produire, et je pense que c’était mon cas ce jour-là. Donc voilà, c’était une très belle journée, un beau souvenir, un titre ; j’étais devenu le deuxième champion d’Europe le plus jeune de l’histoire de la France, Teddy Riner étant le premier. C’est quelque chose de beau, de plaisant, qu’on a envie de refaire encore et encore. L’objectif n’est donc pas de l’avoir fait une fois et de s’en contenter, mais c’est de le refaire et d’aller chercher un palmarès encore plus beau. C’est quelque chose de superbe qui a été réalisé, il y a quatre ans, et il faut chercher à mieux faire encore.

Vous êtes donc un espoir pour le judo français. Mais vous avez été freiné dans votre parcours par de nombreuses blessures. Racontez-nous un peu.
Dès ma plus tendre enfance, en toute modestie, je pense avoir été une personne un peu différente. Mon travail, mon sérieux, ma rage de vaincre comme je l’ai déjà dit, c’est quelque chose d’inné en moi et que je cultivais depuis que j’étais tout petit et avec lequel j’ai grandi. Ma famille, mon éducation, tout ce que j’ai vu en grandissant m’a permis de développer ce trait de caractère. Je ne fais pas les choses à moitié, quand je commence quelque chose, j’ai toujours envie d’aller au bout.

Oui, je pense être un espoir en France, mais aujourd’hui, l’objectif c’est de ne plus rester qu’un espoir, c’est de devenir une légende, d’écrire mon nom dans l’histoire. J’ai effectivement été freiné par de nombreuses blessures parce que je ne savais pas m’écouter auparavant, je n’écoutais pas mon corps. Je n’en faisais qu’à ma tête, j’étais quelqu’un qui s’entraînait beaucoup… Quand j’étais fatigué, je m’entraînais encore plus. Après les Jeux Olympiques de 2016, j’ai tout de suite repris la compétition, sans prendre de repos. A un moment donné, mon corps a fini par dire stop. J’avais enchaîné quatre compétitions d’affilée, quatre régimes de suite, durant quatre semaines où j’ai perdu du poids. Donc mon corps a finalement lâché. Arrivé en quart de finale en compétition, face à un Mongol, champion du monde, je me suis rompu un ligament de la cheville au cours d’une action très bizarre où on n’avait même pas l’impression que je m’étais fait mal. Mais ma cheville avait lâché et j’ai été mis au repos pendant 5 à 6 mois pour revenir ensuite directement pour un championnat du monde.

Donc il faut reconnaître que j’ai fait des erreurs de parcours : revenir après une blessure de 5 mois sur un championnat du monde… Je ne regrette pas de l’avoir fait, mais c’est quelque chose que j’aurais pu éviter. Ensuite, il y a eu un enchaînement de compétitions, car je voulais rattraper mon retard. En fait, le problème avec nous les sportifs, c’est que quand on se blesse et qu’on reste inactif pendant un temps, on se dit qu’on a perdu du temps et qu’il y a un retard à rattraper, un retard fictif en fait. Donc pour rattraper mes cinq mois d’inactivité, j’en faisais cinq fois plus que tout le monde. Et puis j’ai eu une pubalgie… J’étais quelqu’un qui courait beaucoup ; quand je n’avais rien à faire, je courais, au point où mes adducteurs ont dit stop. J’ai alors dû me faire opérer, en 2018 par un des meilleurs chirurgiens du monde, un spécialiste qui a opéré plusieurs footballeurs, le tennisman Rafael Nadal…

Après cette opération, j’ai mis 6 à 7 mois à revenir en compétition. Et depuis, j’ai su remettre toutes les chances de mon côté et reconstituer autour de moi un staff à même de m’aider à atteindre les objectifs que je me suis fixés, des gens capables de me dire d’y aller mollo quand il le faut. Ces blessures ont donc un côté positif car elles m’ont permis d’en apprendre davantage sur moi-même, de mieux écouter mon corps. J’ai su revenir plus fort de toutes ces blessures, surtout la pubalgie. Depuis, ça se passe très bien, et j’espère que ça va continuer ainsi. Quand il n’y a pas besoin d’en faire trop, j’en fais un peu moins ; par contre quand j’ai les armes pour aller au charbon et donner tout ce qu’il faut donner, je le fais. J’ai trouvé le juste milieu et ça se passe très bien.

Aujourd’hui, vous sentez-vous totalement rétabli ?
Aujourd’hui, je me sens complètement rétabli, je n’ai plus douleurs, mon corps va très bien. Quand j’ai fait la pubalgie et que je me suis fait opérer, j’en ai profité pour me refaire physiquement et repartir sur une bonne base. Ceci m’a énormément aidé. Mieux, il n’y a pas eu de séquelles post-opératoires. Ces moments de blessures sont aujourd’hui loin derrière moi, et je tiens à remercier toutes les personnes qui étaient là pour me conseiller du mieux que possible. C’est grâce à ces personnes-là qui ont su m’expliquer les choses correctement que je peux aujourd’hui dire que toutes ces épreuves sont loin derrière moi.

Avez-vous peur de vous blesser à nouveau ?
Aujourd’hui, je n’ai pas peur de me blesser à nouveau. Si on vit avec la peur de se blesser, on va finir par se blesser. Il faut laisser faire les choses, il faut avoir confiance en soi, en son travail, en son corps. Pour ma part, aujourd’hui, j’ai appris à écouter mon corps. J’évite, du mieux que possible, les grosses blessures, bien sûr, les petites blessures comme les entorses arrivent encore, mais ça fait partie de notre sport ; on a un sport très traumatisant, un sport de combat où il y a assez de contacts entre les adversaires. Donc les blessures, ça peut survenir de n’importe quelle manière ; même si on passe tout le temps à faire attention, on peut se blesser à cause de l’autre. Ce sont des choses qui arrivent. Si on vit avec la peur, on n’avance pas. Il ne faut pas vivre avec cette peur, mais plutôt essayer de trouver un moyen pour que ça n’arrive pas. Mais la règle d’or, c’est d’écouter son corps et de ne pas en faire trop pour se rassurer, car agir ainsi est le meilleur moyen pour se blesser. Je travaille, je fais ce que je sais faire du mieux que possible, mais sans avoir peur de me blesser.

Avez-vous maintenu le même rythme d’entraînement ?
J’ai changé mon rythme d’entraînement ; c’est vrai que je m’entraîne toujours autant, mais d’une autre manière. Ce que je faisais en cinq jours, aujourd’hui, je le fais en sept jours. J’essaie donc de garder un rythme du lundi au dimanche, toutes les semaines, et d’avoir quelques repos au milieu de la semaine pour pouvoir être plus performant sur certaines séances. Donc on va dire que c’est moins compact sur cinq jours, c’est plus étalé sur sept jours, il y a donc plus de récupération. Mais en termes d’entraînement, c’est toujours un rythme très élevé, puisqu’il s’agit du sport de haut niveau. Mais on fait plus attention, on est plus professionnel aujourd’hui, et on travaille autant que faire se peut pour avancer le plus rapidement possible.

Que dites-vous de votre participation aux JO de Rio 2016 ?
Pour ces Jeux, je me suis qualifié en très peu de temps, en cinq, six mois. J’ai fait ce qu’il fallait pour y participer ; j’ai montré que c’est sur moi qu’il fallait miser, ce qui a été fait. Mon deuxième combat a été perdu face à un Brésilien (Felipe Kitadai, ndlr), donc à domicile. Quelqu’un que j’avais déjà battu, et que j’étais en train de battre jusqu’à la dernière seconde de combat. J’ai perdu vraiment à la dernière seconde, alors même que je menais la totalité du combat. C’est quelque chose qui m’a pesé pendant un certain moment, mais qui, aujourd’hui, m’a rendu plus fort. Ça a été une très belle expérience : en 5 mn de combat, j’ai pris 10 ans, j’ai énormément appris. Maintenant, plus que jamais, j’ai la rage de gagner les prochains Jeux Olympiques.

Vous sentez-vous prêt pour les Jeux Olympiques de Tokyo ?
Concernant les Jeux Olympiques de Tokyo, aujourd’hui, ce serait mentir que de dire que je suis prêt ; il ne sert à rien d’être prêt aujourd’hui pour une échéance qui arrive dans un an, sachant que les JO constituent l’échéance la plus importante de la vie d’un sportif. Aujourd’hui, je suis prêt à montrer à mon équipe nationale et à mon pays que c’est moi le meilleur ; dans un an, je serai prêt pour ces JO. C’est cela mon objectif, c’est ce qui me fait me lever tous les matins, c’est ce qui me donne la force de me battre tous les jours. J’ai envie d’arriver sur cette compétition en étant au top du top de ma forme dans un an. Etre prêt dans un an, c’est là où on va faire la différence.

Quel est votre plus grand rêve en tant que judoka ?
Mon plus grand rêve en tant que judoka, d’abord, c’est d’être un judoka qui plaise, qui soit beau à regarder, dans le sens où il a un beau judo, qu’on se souvienne de moi, que je marque ma catégorie, ma génération, mon sport, mon pays. C’est cela mon objectif, mon plus grand rêve. Mais, je n’aime pas utiliser le mot rêve parce que pour moi, quand on dit qu’on a un rêve, c’est un peu quelque chose qui reste dans le coin de la tête et qu’on n’a peut-être pas les moyens de réaliser. J’ai plus tendance à dire que c’est un objectif que je me suis fixé et que j’ai envie d’atteindre. Gagner tout ce qu’il est possible de gagner et surtout ne rien regretter serait ma plus grande réussite. Si on part avec des regrets, ça nous suit toute une vie ; pour un sportif, le regret est la pire chose qui puisse arriver. Mon plus grand rêve, c’est de ne rien regretter, de partir avec un bagage solide, d’être fier de moi, et de rendre fiers mes proches, de rendre la pareille aux personnes qui ont passé beaucoup de temps à m’aider. La meilleure manière de rendre la pareille à ces personnes, c’est de gagner une médaille d’or olympique.

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Photo @Jean-Paul Loyer

Mon plus grand objectif, c’est donc de sortir de cette carrière en étant plus fort, en étant un homme, un soldat, quelqu’un de solide et qui sera prêt à assumer sa vie future, sa vie professionnelle ; et j’espère tirer le plus de choses possible de ma carrière de sportif pour ma vie d’homme plus tard. Parce que la vraie vie professionnelle – quand on est sportif, on est dans une bulle – est plus dure qu’une vie de sportif. C’est un stress différent et il faut être prêt et solide pour ça. Si on est un guerrier sur le tapis, on sera un guerrier en dehors. Moi, c’est un peu mon mode de vie ; comme je suis sur le tapis, comme je suis à l’extérieur : je suis quelqu’un de très généreux sur le tapis, je suis quelqu’un de très généreux à l’extérieur.

Qui sont ces proches qui vous tiennent tant à cœur et pour qui vous êtes prêt à tout donner pour réaliser le meilleur dans votre discipline ?
Automatiquement, pour répondre à cette question, les proches, c’est ma famille, ma mère, mes frères, qui sont une source de motivation incroyable dans ma carrière, et qui sont toujours présents avec moi en compétition, peu importe où je suis. Il y a aussi mes entraîneurs très proches, des amis qui font partie de ma famille. Il est donc important pour moi de les rendre fiers pour qu’ils ne pensent pas qu’ils ont fait tout ça pour rien, pour qu’eux non plus n’aient pas de regret.

Quelle place le Maroc occupe-t-il dans votre cœur ?
Le Maroc occupe une très grande place dans mon cœur, bien évidemment ; ce sont mes racines, mes origines. Certes je suis né en France, mais depuis mon plus jeune âge, je suis toujours allé au Maroc où j’ai tout le temps passé mes vacances scolaires. J’ai passé assez de temps là-bas, toute ma famille est d’ailleurs au Maroc. C’est l’endroit où je vais pour me ressourcer, c’est l’endroit où j’ai presque tous les plus beaux souvenirs dans ma vie, c’est l’endroit où je me sens très très bien, je ne dirai pas le mieux, mais je m’y sens vraiment bien. J’y fais des stages, je m’y entraîne, bref, c’est un lieu que je trouve apaisant, porteur d’une mentalité que j’aime bien, qui me ressemble. Donc, le Maroc est très important pour moi, tout comme la France d’ailleurs ; mais c’est deux choses différentes et je n’ai pas de choix à faire entre les deux.

Le Maroc est un pays où j’ai besoin d’aller, de m’y retrouver avec mes proches. Cela est très important pour moi. J’espère un jour faire une très grande compétition au Maroc et rendre fiers ces Marocains qui me suivent et qui me regardent malgré le fait que je combatte pour l’équipe de France. Il faut dire que j’ai beaucoup donné pour l’équipe nationale du Maroc, j’ai animé des conférences, j’ai fait des stages d’entraînement… J’ai envie d’aider le sport au Maroc, d’aider le judo au Maroc ; j’envoie très régulièrement des kimonos, des vêtements, des affaires, etc.. Je fais du mieux que possible pour aider les plus démunis. C’est quelque chose qui me tient à cœur aussi.

Un mot de fin…
Je n’ai pas un mot de fin à placer en particulier. J’ai juste envie de dire à toutes les personnes qui lisent, les plus jeunes comme les plus âgées, que tout est possible, qu’il suffit de travailler pour atteindre ses objectifs ; il suffit de se donner les moyens pour y parvenir, de ne rien lâcher malgré la difficulté, malgré ce que la vie nous réserve. Si on a quelque chose en tête, il faut le faire, il faut aller au bout des choses, même si ça ne marche pas au début, il faut s’accrocher. On devient ce qu’on a envie d’être. Il n’y a pas de secret, le travail finit toujours par payer.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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