Wade Retro,Satanas !


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Moins que la simple demande sociale, la nouvelle foi tiédo des Sénégalais a eu raison de Me Wade, une foi doublée d’un certain paganisme qui n’exclut pas le recours à des méthodes de combat pas toujours orthodoxes. Avec le Pape du Sopi, en effet, l’espoir se meurt, mais la foi demeure. Le président sortant n’a pas su échapper au piège d’un environnement hostile. Un syncrétisme magico-religieux a eu raison de lui.

Wade Retros, Satanas !Un environnement hostile contre lequel Me Wade n’a pas vraiment cherché à lutter a marqué le mandat de trop du président sortant qui a dû battre en retraite le 25 mars dernier, après la sommation de toutes les frustrations endurées à partir de 2007. Une densité physique et morale marquée par une gestion difficile du temps et de l’espace social (inondations, mal-vivre avec des services de base non assurés, etc) et une conjoncture internationale caractérisée par les émeutes de la faim consécutives au renchérissement du prix des denrées essentielles ont engendré une hostilité interne et externe (certains parleront de complot) pour liquider celui dont le rêve s’est révélé contraire aux actes monarchiques et à la dure réalité de l’exercice du pouvoir.

Ainsi, sauf des imams qui veulent gérer autrement les âmes des fidèles en descendant dans la rue, des élèves en grève pendant le sempiternel mouvement syndicaliste des enseignants et professeurs, des étudiants qui manifestent pour un oui ou un non, le Sénégal connaît depuis 1974 grâce, paradoxalement, au renforcement du secteur des libertés individuelles et collectives, c’est-à-dire, in fine, à la démocratisation de la société sénégalaise avec la lutte du président Wade pour un environnement moral pluriel, tolérant, démocratique, le tout avec la complicité de Abdou Diouf.

Les mutations profondes qui secouent le champ social sénégalais ne sont malheureusement pas sans leur revers, avec le signe extraverti de la dislocation du champ politico-syndical avec les reniements, transhumances et autres trahisons, symboles d’une mauvaise démocratie favorisant des présidents élus à la minorité simple (25%) facileùent liquidables, donc ; d’autres formes d’appréhension de la réalité sociale se dessinent alors, nées du décloisonnement des groupes sociaux sous le coup de boutoir de la politique et des difficultés économiques. Le Sénégal d’Abdoulaye Wade est celui d’un pays qui a d’autant douté de son héros que ce dernier, Dieu descendu sur terre, n’a pas su se mettre au niveau des populations. La lame de fond du 25 mars est le signe de populations invoquant aussi bien le Ciel que le Diable pour se débarrasser de Prométhée.Wade Retros, Satanas !

La foi est en effet venue au secours des animateurs et agitateurs sociaux (politiciens, société civile, mouvements sociaux et syndicalistes) incapables de trouver un exécutoire aux frustrations des populations sénégalaises : face à la lutte pour la survie dans une période de frustrations nées de ruptures et de pénuries avec les crises économiques internationales enregistrées depuis avril 2007 avec la hausse du prix des denrées de bases, les religions sont entrées dans la danse en invitant à une nouvelle forme de lutte différente des brasiers allumés entre novembre 2007, avec les marchands ambulants, et le 11 octobre 2008, suite à l’élimination prématurée des « Lions de la Téranga, Kédougou, Tambacounda, etc. A l’extrémisme d’un 23-27 juin-juillet se joint une détermination faisant la jonction entre le religieux et le paganisme de la période électorale avec ses martyrs accidentels ou suppliciés rituels ou illuminés au point de jouer aux fous de Dieu en s’auto-enflammant.

Si elle s’était uniquement limitée au champ social normé, c’est-à-dire régi par les règles, elle serait la traduction de l’éclatement du secteur politique en perpétuelle recomposition politique et syndicale née d’une démocratisation accélérée de la société sénégalaise depuis Abdou Diouf ; mais comment interpréter par exemple le vandalisme dirigé vers les symboles de l’État par des populations en rupture, âmes en deuil de leur idéal et en errance perpétuelle devant leur déshérence ?. Et cette césure ne s’est pas seulement exercée sur les symboles du pouvoir, comme lors de ces mouvements sociaux ou comme entre le 18 et le 25 novembre 2008 quand des individus en rupture morale et religieuse se sont directement attaqués au président de la République et au service de son fils en détruisant nombre de véhicules de l’Agence nationale de l’Organisation de la Conférence islamique (Anoci).

Wade Retros, Satanas !Cette foi tiédo n’a pas été non plus été circonscrite avec l’entrée de la religion dans la bataille pour la survie des fidèles ; au contraire, elle l’a accompagnée avec les événements de Kédougou et de Ndias du 23 décembre 2008 quand des populations sont encore sorties dans la rue pour attaquer certains symboles de la République comme la brigade de gendarmerie, la préfecture, la prison, etc… Notons enfin les tentatives de suicide devant les grilles du palais de la République ou devant les lieux de résidence extérieurs du chef de l’État, sans compter cette autre forme de violence quand la partie la plus virile de la société sénégalaise, sa jeunesse, se lance dans le ventre de l’Atlantique, dans un ultime sursaut de vie et de recherche de dignité, médiatisé par les suppliques religieuses à forts relents de paganisme avec une sélection naturelle en fonction de sa propre baraka ou de celle de ses aïeux.

Sans pour autant épouser l’idéologie de la théologie de la libération vérifiée en Amérique latine et dans l’Islam en Afrique de l’Ouest, la foi des imams de Guédiawaye qui ont marché aussi bien à Dakar qu’à Fatick a démontré la prégnance de la religion dans les affaires de la cité ; alors qu’auparavant les courants théologico-mystiques de l’Islam en Afrique de l’Ouest ont eu comme particularité d’unir quête spirituelle et engagement politique anti-colonialiste, la théologie de la libération en contexte musulman, malgré plusieurs expressions historiques, n’est pas allée plus loin, au fond, que « Présence chrétienne » qui se vérifie depuis le début des années 80 avec un certain Adrien Sarr, évêque de Kaolack : si la montagne refuse d’aller à Mahomet, Mahomet va désormais à la montagne. Autrement dit, la religion investit les fidèles d’une nouvelle puissance qui ne se gère plus désormais autour des deniers de l’Église de plus en rares et des simples prières régulières ou surérogatoires pour implorer la chance : elle invite dorénavant à une participation collective, religieux et fidèles, à la vie de la société, là où se prennent les décisions, se détermine la hiérarchisation sociale nouvelle basée sur le savoir, le pouvoir, la fortune. Nous assistons désormais à un syncrétisme de tous les courants religieux, du Harrisme au Mouridisme, en passant par le Hamallisme malien et le Kimbanguisme centrafricain : le rejet des valeurs de l’Occident, base de nos valeurs culturelles et cultuelles, est au centre du mouvement de participation à la vie sociale avec la lutte contre la cherté de la vie quand nous ne participons pas à la définition des règles du jeu entre les matières premières locales (que nous produisons) et le produit fini extérieur (que nous consommons). Les mouvements spiritualistes et charismatiques du début des années 70 sont passés trop rapidement et invitaient plus à un retour au mythe du bon sauvage en refusant les normes capitalistiques de déstructuration de la société et de l’homme. L’invasion du canal Saint-Martin, en France, les insurgés, ailleurs, mènent le même combat contre une société malthusienne, exclusive, inégale par essence et par détermination.

« L’opposition artificielle introduite par certains interprètes entre théologie rationnelle ou dogmatique et expérience mystique n’est pas toujours historiquement pertinente comme l’illustre l’histoire contemporaine de l’Islam subsaharien » [[Mohamed Tahar Bensaada : La théologie de la libération du cheikh Hamahoullah. (oumma.com › Tijâniyya, 18 mai 2006)]]. La Révolution iranienne et, plus globalement, le Fondamentalisme religieux qui s’est emparé d’une partie en lutte du monde musulman autour du pourtour méditerranéen et dans les grands espaces du sahel africain doivent encore intéresser les spécialistes des sciences sociales sur les motivations premières et secondes des Kamikazes des temps modernes. Leur survivance depuis Khomeiny, la variété des formes de combat (Printemps arabe presque accidentel en Tunisie, les Insurgés européens et américains, la révolution continue des bonzes tibétains,…) invoquent un syncrétisme magico-religieux d’une rationalité théologique avérée mais appuyée sur des pratiques mystiques.

En relevant le rôle et l’importance des marabouts dans les sociétés africaines, l’histoire enseigne qu' »avec la disparition des royaumes à l’époque coloniale et de tout pouvoir légitime émanant de la société africaine traditionnelle, les marabouts comblent le vide laissé par la vacance du pouvoir local dans les villages ; défenseurs du mode de vie africain, ils offrent aux populations une consolation spirituelle et morale face aux changements générés par la domination française.
Pour de nombreux fidèles, la religion s’incarne dans leurs marabouts, prêtres et autres évangélistes, après les rappeurs qui ont prêché en vain dans le désert des hommes de décision qui n’ont pas saisi le sens de leurs avertissements ; et leurs paroles de tous revêtent autant d’importance que les citations du Coran, de l’Évangile, au sens étymologique, etc.
La prégnance du discours culturel ou religion ne vient pas seulement des dures réalités vécues et dénoncées dans un environnement éclaté dans des normes et valeurs nouvelles diverses. Dans le premier cas, religieux, les fonctions multiples : lettrés et hommes de savoir, ils s’occupent des écoles coraniques et de l’éducation des jeunes, dirigent la récitation des chants religieux et des litanies. Dans le domaine social, ils arbitrent les litiges, maintiennent la concorde du groupe, redistribuent aux plus démunis une partie des aumônes et des dons qu’ils reçoivent, célèbrent les mariages… possesseurs d’attributs surnaturels, ils peuvent conjurer les malheurs d’autrui, confectionner des gris gris… ils s’intéressent aux pratiques agricoles, aux activités d’échanges… » [[feuz : Islam noir, mamemore.populus.org/rub/5]]. Aujourd’hui encore, devant le vide né d’un repli du Sénégalais sur lui-même face au « Moins d’État, mieux d’État », une nouvelle quête de spiritualité a maintenu en vie une religion plus fétichiste que spirituelle investie du rôle d’aider à régler la dépense quotidienne et à liquider l’autre.

Wade Retros, Satanas ! C’est dans ce contexte particulier qu’elle faut comprendre le Sénégal de Wade, entré en politique, comme on disait jadis de quelqu’un qu’il entrait en religion ou dans les ordres, après une longue marche qui l’a conduit à Dakar, rompant et démontrant par là que le Fouta (par la cuvette de Diomandou) le Gandiolais et Kébémer ne seront jamais qu’une étape vers Dakar et le Point E, mais aussi sans les ruptures nécessaires par rapport à un référentiel religieux et environnemental que fondent ces deux localités du Nord du Sénégal dans leur proximité avec la capitale du Mouridisme. La première ambiguïté vient de cette non césure esthétique, une religiosité à la Tartufe qui ne favorisait pas un passage de témoin entre l’ancien (l’opposant) et le nouveau (président de la République), sans relents œdipiens qui renverrait a contrario à l’idée d’une dévolution monarchique.
Le pari est d’autant plus difficile, dans une période de forte entropie sociale au Sénégal. Or Dakar, qui concentre les activités de la près de la moitié des populations sénégalaises (4,5 millions de visiteurs par jour- Source Banque mondiale, 1999) déterminera dans une large mesure la défaite du parti au pouvoir avec sa proche banlieue des Parcelles assainies, Pikine et Guédiawaye.

Le fétichisme religieux de Wade est d’autant plus avéré qu’il s’est adressé à l’avenir, lui le mourant invité à faire comme Macky Sall dès son installation : un saupoudrage de forme pour donner l’impression de s’attaquer au renchérissement du coût de la vie ; s’il a su jouer avec l’incrédulité des Sénégalais, il a oublié d’écouter Bob Marley : « You can fool the people sometime, but you cannot fool the people all the time ». Le thème de la solution de la mobilité urbaine et des transformations nécessaires de la grande banlieue dakaroise sera la solution finale, explicative en gros du désastre du 25 mars avec une pensée pieuse pour le fils : exclu du développement parce que pauvre, l’habitant de la banlieue pour lequel on prétend réduire le temps et l’espace est la preuve d’une survie réussie…qui a coûté le pouvoir au sempiternel Pape du Sopi. La vie est un changement.

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