Alors que le groupe international de contact sur la Libye se réunit à Abou Dhabi pour décider d’une aide financière au Conseil national de transition (CNT), le président Abdoulaye Wade s’est déplacé jeudi à Benghazi pour réclamer le départ de Mouammar Kadhafi.
De notre correspondant au Sénégal
« Plus tôt tu partiras, mieux ça vaudra. » L’appel lancé par le président Wade à l’adresse de Mouammar Kadhafi est clair. Après un passage par Paris, où il a rencontré le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, le Sénégalais est arrivé jeudi en Libye. Escorté par deux avions Mirage français, l’Airbus sénégalais s’est posé en fin de matinée sur l’aéroport de Benghazi. Accueilli sur le tarmac par le président du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil, et entouré d’une flopée de journalistes, Abdoulaye Wade ne boude pas son plaisir.
Élu en 2000 après une alternance politique saluée par tous, le Sénégalais s’est paré des habits de chantre de la démocratie pour demander le départ du « dictateur ». « Tu es arrivé au pouvoir par un coup d’Etat il y a plus de 40 ans, tu n’as jamais fait d’élection, tu as prétendu parler au nom du peuple, a-t-il lancé à son ancien allié, Mouammar Kadhafi, lors d’une conférence de presse. Tout le monde sait que c’est une dictature que tu as établie (…). Je te regarde maintenant dans les yeux, il faut arrêter les dégâts. »
Après avoir reconnu le Conseil national de transition (CNT) fin mai, Abdoulaye Wade devient donc le premier chef d’Etat à se rendre dans le fief des insurgés libyens. Une visite qui illustre le revirement d’une partie des dirigeants du continent sur la possibilité pour le guide de la Jamahiriya de rester aux affaires alors que l’Union africaine (UA) appelle toujours à un cessez-le-feu. Officiellement, le Sénégalais répond à une invitation du président du CNT dont il avait reçu les émissaires une première fois à Dakar le 19 mai puis à Paris le 27. Officieusement, à moins d’un an d’élections présidentielles qui promettent d’être disputées, Wade n’est sans doute pas mécontent de s’attirer les bonnes grâces d’Obama et de Sarkozy en montant au front pour réclamer la tête du fantasque Kadhafi. Le président sénégalais, dont la diplomatie du portefeuille et les flirts plus ou moins prolongés avec les pays du Golfe, l’Inde, la Chine et l’Iran, donnent parfois le tournis, semble revenir à ses premières amours, les Etats-Unis et la France.
La médiation du « vieux sage »
Toujours prompt à proposer ses services pour résoudre les problèmes des autres, le Sénégalais a comme prévu offert sa médiation dans la crise libyenne. Depuis son arrivée au pouvoir, l’ancien avocat multiplie en effet les médiations internationales avec l’ambition de se forger une stature de « vieux sage » de l’Afrique. Ses détracteurs lui reprochent un activisme brouillon, des interventions médiatisées, mais rarement efficaces, et des relations étroites avec des pays au ban de la communauté internationale. Peu importe qu’il soit privé de la majorité des médiations en Afrique de l’Ouest, confiées au Burkinabè Blaise Compaoré, Abdoulaye Wade est intervenu en Mauritanie, au Darfour, à Madagascar, a tenté de rapprocher le Tchadien Idriss Deby et le Soudanais Omar El Béchir, de faire libérer la Française Clotilde Reiss, retenue en Iran, et de rompre l’isolement de Robert Mugabe. N’ayant peur de rien, il s’est même impliqué dans le conflit israélo-palestinien.
« À l’Union africaine, je suis le seul qui peut lui parler, lui dire la vérité car je ne lui dois rien », a ainsi expliqué à la presse le président Wade, accompagné de son ministre des Affaires étrangères et de son fils, Karim Wade, dont le déplacement en Libye après celui de Deauville pour le G8 fera sans doute beaucoup parler à Dakar. Des mots qui contrastent avec les discours précédents. En décembre dernier, à l’occasion du Festival mondial des arts nègres (Fesman) à Dakar, Abdoulaye Wade et celui qu’il qualifiait alors de « compagnon de lutte pour l’édification des Etats-Unis d’Afrique », Mouammar Kadhafi himself, avaient prononcé un discours au pied de l’imposante statue de la Renaissance africaine. Jamais à court d’idées grandioses, le Sénégalais avait trouvé en Kadhafi, jamais à court de pétrodollars, le partenaire idéal. Abdoulaye Wade était par exemple persuadé que son ami libyen tenait à disposition du Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) 90 milliards de dollars et s’interrogeait publiquement sur la façon dont il allait constituer un fonds afin de mieux utiliser cette somme. Symbole de l’amitié sénégalo-libyenne, la première tour solaire du continent, d’une hauteur de 200 mètres et baptisée sobrement « The Président Kadhafi African Tower », devait même voir le jour à Dakar.