De Bob Marley & The Wailers aux Gnawas, il n’y a qu’un pas. WachM’n-Hit l’a fait, avec énergie et allégresse. Le groupe, créé par sept jeunes musiciens, a sorti un nouvel album : Reggae music from Morocco (AB Sawt, 2009). Un son qui charrie les désillusions comme les espérances du peuple marocain.
La scène musicale arabe et maghrébine est en train de bouger de manière extraordinaire, et de produire des groupes et des artistes formidables et de nouvelles expressions musicales, mais en Europe, ou même dans les pays voisins, on n’en a que très faiblement, voire pas du tout, d’écho. C’est que ces nouveaux groupes, souvent talentueux, et dont nous vous rendons compte dans cette rubrique quand nous en sommes informés, ont souvent un mal fou à exister et à se faire entendre dans leur pays – donc à fortiori à l’étranger. Auto-produits, produits par des maisons de disques locales qui n’ont pas la puissance pub et marketing des internationales, voire ayant toutes les difficultés du monde à se faire entendre ne serait-ce que sur une bonne scène ou sur les radios locales. Ce milieu underground parvient à exister grâce au net et à myspace, et, parfois, au gré d’un festival d’été ou d’un animateur de radio audacieux, gagnent un peu de notoriété.
Autre raison qui explique aussi sans doute cette situation: avec le conservatisme religieux et social qui gagne tous les pays musulmans, ces groupes qui utilisent des guitares électriques, des batteries, des sons électriques, et jouent du rock, du pop, du jazz ou du rap, passent aux yeux des religieux conservateurs, pour des groupes de musiques “occidentales”, voire “sataniques”… (Pour les consoler: les Beatles aussi furent accusés de “satanisme” par les conservateurs américains, parce que la liberté du rock, ça ne plaît pas à tout le monde). Et, pour aggraver leur cas, ces jeunes artistes arabo-maghrébins ont souvent des textes explosifs, dénonçant tous les travers de leur société, quand la parole reste souvent bâillonnée dans leur pays. Voilà pourquoi il faut saluer l’excellent premier album du groupe de reggae marocain Wachm’nt hit.
“Wachm’n hit chante la voix du peuple”
D’abord il faut bien dire que, même sans comprendre le marocain parlé, on a adoré leur album à l’écoute: du bon reggae, qui s’aventure sur toutes les contrées musicales où nos 7 jeunes musiciens ont envie d’aller, sans perdre son âme; des musiciens aguerris, une guitare électrique très convaincante, d’un son plus saharien que jamaïcain (on pense à Tinariwen); et une batterie pleine d’énergie, qui invite volontiers les rythmes gnawa, rythmes noirs tout à fait à leur aise ici. “Wachm’n hit” veut dire, en marocain parlé, “de quel “hit” tu parles?”, et la chanson-titre dénonce toutes les difficultés de la “movida” musicale marocaine à exister. Mais, dans “La tloumouna”, le groupe se moque de ceux qui attaquent ces nouvelles musiques (ces nouveaux “hits”), voulant étouffer dans l’oeuf ce mouvement, et la chanson affirme que le groupe continuera à jouer du “reggae marocain”, coûte que coûte…
Car si certains dénigrent ces nouveaux artistes, un certain public, jeune, est bien au rendez-vous. Wachm’n hit a ainsi gagné le Prix “Boulevard des jeunes musiciens” à Casablanca en 2006 dans la catégorie “fusion”, et déchaîne un public jeune en quête d’expression collective et joyeuse, quand il se produit dans des festivals ou sur des scènes d’Essaouira, de Rabat ou de Casablanca, festivités que n’offrent pas les réunions dans les lieux de culte. Des chansons-brûlots, sur les très jeunes filles qui vont avec des hommes plus âgés, sur la situation de l’enseignement au Maroc, sur les méfaits de la sorcellerie dans le pays, ou sur l’immobilisme politique des dirigeants: “Wachm’n hit chante la voix du peuple”, annonce le livret. Heureusement, faute de Virgin ou Fnac qui distribue ces disques, vous pouvez désormais les commander directement chez les artistes, ou sur des sites internet comme Livremoi.