J’ai lu avec intérêt « Vivantes », le livre d’Odile Dutrey. Quelques mois, auparavant, j’avais eu le privilège de parcourir son manuscrit, je veux aujourd’hui en recommander la lecture. C’est un document poignant, émouvant qui nous parle avec sensibilité et beaucoup de pudeur de la vie quotidienne de femmes migrantes à Marseille.
Par Jean-Pierre Page
Elles ont fait le choix de rompre avec leur pays, leur village, leur histoire, leur famille et un milieu, qui pour elles, était fait de contraintes sociales et culturelles. Toutes sont originaires d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne. Odile, dans le voyage qu’elle nous encourage à faire à leurs côtés, nous parle de tout autre chose que de « cas » de « dossiers » ou de « statistiques » qui seraient soumis ensuite à une bureaucratie tatillonne. Odile nous parle d’existences réelles.
Elle les reçoit en entretiens, mais ne s’en tient pas là, elle agit. Elle raconte avec simplicité et des mots justes, des vies faites comme pour chacun d’entre nous de sentiments, d’illusions, de peines, d’attentes, de déchirures, mais aussi de désirs et d’espoirs. Le titre du livre est très juste ces femmes sont vivantes, et mêmes, bien vivantes ! Odile dès les premiers témoignages réussit à établir avec elles une proximité. Au fil des pages, on comprend que le dialogue évolue très vite vers une forme de complicité .
Odile, raconte à partir de ses notes, mais comme si elle le faisait à voix haute. Elle évoque les démarches, les conseils, le suivi et tout ce qui peut contribuer à trouver une réponse à un ou des problèmes. Pas en faisant à la place, mais en faisant avec et finalement ensemble.
Rien n’est laissé au hasard : grossesse accouchement ou avortement, excision et ce que doit signifier le plaisir, logement, crèches, comment mieux prendre en charge les enfants, trouver le moyen de reprendre des études ou se familiariser avec le français, savoir trouver les moyens de s’alimenter, et même comment se déplacer dans une cité que l’on connaît si peu. Il n’y a pas de place pour les discours moralisateurs et encore moins pour des leçons de charité chrétienne ou pas.
Odile va d’abord chercher à comprendre puis contribuer à redonner confiance par l’écoute, l’attention et le partage. Elle va aider à conjurer une sorte de fatalité qui se serait abattue sur chacune, d’autant qu’elles se sentent souvent désarmées devant une espèce d’adversité qui s’acharnerait encore et encore. Déjà, il faut commencer par donner la parole à celles qui parfois se sont murées dans le silence ou qui s’effacent derrière leur compagnon d’infortune, quand elles en ont un.
Elles ont voulu donner un sens à leur vie. Elles l’ont faite seules, parfois à deux, souvent avec leurs enfants. Elles ont fait le choix de partir sans même être certaines d’arriver à la destination qu’elles s’étaient fixées, souvent en s’échappant, en bravant les dangers, en se sacrifiant de bien des manières pour protéger leurs petits, souvent des bébés. Elles ont revendiqué leur droit à rêver d’une vie meilleure, différente. Il est donc essentiel qu’elles le racontent et le disent. Odile ne ménage pas ses efforts et son temps, elle les encourage de mille et une manière.
Comme on le sait, rien n’est accordé ni octroyé, il faut donc se battre et les encourager à résister. Chaque chose acquise, chaque pas en avant, fait en faveur d’une régularisation, chaque prise en compte d’un ou des problèmes matériels, un lit pour dormir ce soir, un repas pour les enfants, une inscription à la maternelle, sont de petites victoires sur l’indifférence et contre ce qui semblait être une malédiction. On voit ainsi, à travers les témoignages de Fanta, Kaoula, Bintou, Nawel, les résultats de ces batailles quotidiennes faire la place à des attitudes plus résolues, plus lucides, finalement le découragement recule, enfin !
Bien au-delà du constat, le livre d’Odile Dutrey est aussi une invitation à réfléchir aux causes et pas seulement aux conséquences. Comment en est-on arrivé là ? Doit-on banaliser cette réalité et s’en accommoder sans rien dire ? Ou plutôt, faut-il faire face à ces défis qui assaillent l’humanité toute entière et dont on ne saurait pas disculper le système qui en porte les responsabilités ?
L’Afrique n’est pas vouée aux malheurs, pas plus que d’autres régions du monde. Elle a les moyens d’agir contre la faim, les guerres, le pillage de ses matières premières par les sociétés multinationales, les conditions imposées par les pays riches et les institutions internationales qui contribuent à sa recolonisation. Il en va de même contre tout ce qui encourage la militarisation, comme les occupations militaires étrangères singulièrement françaises. Ce sont les gouvernements occidentaux dans la pire tradition néocoloniale qui ensuite ordonnent et font la leçon, contestent et s’indignent de manière hypocrite des migrations, des mouvements planétaires de réfugiés, du sous développement, du réchauffement climatique.
En fait, ce sont eux qui contribuent au racisme, aux violences et à toutes ces atteintes à la dignité des hommes, des femmes, des enfants. En Afrique comme ailleurs, on peut résister, le continent est riche de batailles pour la libération, l’indépendance, la souveraineté et l’émancipation, les exemples ne manquent pas ! Lutter à leurs côtés, c’est aussi nous défendre nous-mêmes. Ensemble nous pouvons être plus forts pour soulever la chape de plomb que l’on cherche à imposer aux peuples.
L’expérience concrète qu’Odile Dutrey partage avec ces femmes « vivantes », cette pédagogie de l’action qu’elle fait partager, ne peut pas être sans perspectives ni suites heureuses. « L’aube n’est jamais si proche qu’au plus noir de la nuit ».
Jean-Pierre Page Ancien responsable international de la C.G.T
Commander : Vivantes. Des femmes migrantes racontent de Odile Dutrey (Auteur)