Viva Laldgérie, le deuxième film de Nadir Moknèche, brise les nombreux tabous qui rongent encore l’Algérie. Il filme sans concessions le sexe, l’homosexualité et la vie quotidienne pas toujours rose de trois femmes d’Algérie et d’aujourd’hui. Un tournant dans le cinéma du pays.
Débat dans les toilettes des dames de l’Institut du Monde arabe, à Paris. C’était lundi dernier, après la projection en avant-première du deuxième film de Nadir Moknèche, Viva Laldjérie. Le film délie les langues. « En tant qu’Algérienne, je me sens agressée par ces images de prostitution et de sexe », s’indigne l’une d’entre elles. Son amie enchaîne : « Si c’est ça l’Algérie, ça a beaucoup changé ! Moi, j’y vais tous les ans et ce n’est vraiment pas cette image que j’aurais montré de mon pays ! ».
Les deux femmes, proches de la cinquantaine, sont rabrouées par une jeune Française : « Quand je vois un film sur Paris avec des prostituées, je ne me sens pas agressée ! » et une jeune Algérienne : « Mais qu’est-ce-que vous croyez, c’est ça aussi l’Algérie ! Les filles qui couchent avant le mariage, ça existe… Moi je trouve ce film très fort au contraire ! La plupart de mes copines font comme l’héroïne qui cache sa mini-jupe sous une djellaba pour ne pas se faire repérer ! »
Sans fausse pudeur
Le film de Nadir Moknèche est un beau film, mais son plus grand intérêt réside bien là : faire circuler la parole sur des sujets encore largement tabous dans le pays, ouvrir le débat. Le réalisateur espère que ce film servira de « thérapie collective ». Cela pourrait bien être le cas. Car Moknèche montre tout sans fausse pudeur : la jouissance et le désespoir, l’émancipation et la peur, les souvenirs noyés dans l’alcool, l’adultère consommé, l’homosexualité, les filles qui cachent ce qu’elles aimeraient montrer, la nudité sans fards. Une première dans le cinéma algérien. Le film a déjà été projeté à Alger et semble avoir reçu un accueil enthousiaste. C’est bon signe.
En acceptant ce film, les Algérois prouveront qu’ils sont prêts à se regarder en face. Le film est pour eux un véritable miroir. Les personnages de Nadir Moknèche sont bien plus que des personnages de scénario : ils sont les Algérois d’aujourd’hui, au plus proche du quotidien. Seul regret : les acteurs parlent français. Il vous prend alors la nostalgie de la langue algéroise, mélange d’arabe, de français, de berbère, argot rythmé et original. Mais qu’importe, les trois portraits de femmes, filmées avec tendresse, font éclater le talent des actrices : la pimpante Biyouna, chanteuse, danseuse, icône populaire nationale depuis 30 ans. La somptueuse Lubna Azabal, jeune comédienne d’origine marocaine découverte il y a trois ans dans Loin, le film d’André Téchiné. Et l’enivrante Algérienne Nadia Kaci.
Alger la belle
Elles sont respectivement Papicha, ancienne danseuse de cabaret qui pleure son mari assassiné et tremble devant la moindre barbe, sa fille, Goucem, femme-enfant à la fois forte et fragile, et Fifi, leur voisine, qui se prostitue, « protégée » par un homme armé. Dans cette Algérie de l’après-terrorisme, ces femmes hautes en couleurs se débattent dans leurs contradictions. Le film rend hommage à leur courage et à leur force de caractère.
Le quatrième personnage de Viva Laldjérie, c’est bien sûr Alger, belle de nuit comme de jour, qui se montre telle qu’en elle-même, donc loin des images cartes postales. Si l’on perçoit bien un pan de mur immaculé de la Grande Poste, on gravit plutôt des ruelles pas toujours propres, on se perd dans la Casbah, on prend la pluie et on croise des vendeurs à la sauvette qui disputent les murs aux hittistes. Et, au détour d’une rue, on tombe sur la grande bleue, à vous couper le souffle. Pour ces images, pour cette lumière et pour ces femmes si attachantes, le film mérite d’avoir une belle vie en salle. Viva Laldjérie !
Viva Laldjérie de Nadir Moknèche, sortie française le 7 avril 2004.