A peine annoncées, les mesures destinées à assouplir l’obtention des visas français pour les artistes africains ont été mises en application par Jean-Marie Bockel. Le secrétaire d’Etat à la coopération espère faire bénéficier 10 à 15 000 artistes de son nouveau dispositif. Alors terminé les galères administratives pour les artistes africains ? Le mécanisme d’obtention du visa, lui, ne change pas et peut faire douter de l’efficacité des mesures sur le terrain.
Ce n’est un secret pour personne, obtenir un visa quand on est un artiste africain qui n’a jamais mis les pieds en France équivaut à vouloir battre à la course un bushman du Kalahari !
« C’est simple, c’est tellement difficile d’y arriver seul que si on n’a pas d’organisateur, on ne tente même pas ! On sait d’avance que ça ne fonctionnera pas ! » témoigne le chanteur ivoirien Soum Bill, qui se produit régulièrement en France depuis 1998.
Il était donc grand temps que la France prenne des mesures à la hauteur des engagements pris à Bamako au Mali en 2005. Lors du 23ème Sommet Afrique-France, elle avait promis de « faciliter l’octroi des visas de courts séjours à entrées et sorties multiples aux Africains qui en ont le plus besoin ». Or, seuls les entrepreneurs avaient pu, jusqu’à lundi, bénéficier de nouvelles mesures. Dès mardi, le secrétaire d’Etat français à la coopération a demandé à tous les consuls d’Afrique la « mise en application immédiate » des mesures sur lesquelles il planche depuis des mois.
Cette fois, ce sont les artistes qui devraient pouvoir entrer plus facilement sur le territoire. L’un des points phares du dispositif est la facilitation d’obtention du visa pour ceux d’entre eux qui sont déjà venus en France au moins une fois. Si c’est le cas, ils disposeront d’un visa de circulation d’une durée d’un an. Jusqu’à présent, au-delà de trois mois, ils devaient réitérer leur demande à chaque voyage. « J’aimerais bien que ce soit vrai, mais j’y crois pas trop (petit gloussement de sous-entendu)… J’attends de voir comment ça se passe » avoue le chanteur ivoirien DJ Spring Bilongo. « En 2005, je suis parti pour un concert à Paris. Je suis rentré en côte d’Ivoire, et quand j’ai voulu repartir, j’ai redéposé le même dossier au consulat et il a été refusé ! Pourquoi ? J’en sais rien ! Une fois tu l’as, une fois tu l’as pas ! C’est comme à la loterie.»
Des visas plus nombreux
Les artistes déjà reconnus en France, ayant fait l’aller-retour une ou plusieurs fois entre la France et l’Afrique ne devraient pas peiner à obtenir 1 à 5 années de validité de leur visa. Avec une limite de trois mois pour chaque séjour. « Jusqu’à maintenant moins de 10% seulement des visas délivrés aux artistes étaient des visas de circulation, il s’agit d’en augmenter le nombre. Cela ne posera pas de problème aux artistes qui sont déjà venus plusieurs fois en France.» explique Didier Le Bret, conseiller auprès du Secrétaire d’Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie.
Restent les artistes qui n’ont encore jamais mis les pieds sur le territoire français. Les démarches risquent de rester complexes. Ils devront, comme c’est déjà le cas, présenter des garanties : « des fois, on te demande si t’as un compte à Abidjan, il faut que la personne qui t’invite soit caution » raconte DJ Spring Bilong.
Pour eux, Jean-Marie Bockel a prévu un « rapprochement entre le service consulaire et les institutions culturelles qui devront juger sur place » du sérieux de la demande. Ce qui pose évidemment question, comme le souligne l’une des organisatrices du festival Musique Métisse : « sur quels critères et par quels moyens les institutions administratives seront-elles à même de juger de la crédibilité artistique d’un individu ? » Ce à quoi Jean Le Bret, qui a été chef de mission de coopération au Sénégal et se positionne en homme de terrain, répond : « les services consulaires travaillent déjà en étroite collaboration avec le tissu culturel local, il faut leur faire confiance ! »
En revanche, explique-t-il, « si le service consulaire émet des doutes sur la confiance que l’on peut accorder à l’artiste, il aura zéro pour cent de chance d’obtenir son visa ! Une simple guitare n’est pas un passe droit. Un équilibre doit être trouvé entre l’aide apportée aux artistes ayant des garanties insuffisantes, pour ne pas les pénaliser, et le contrôle des entrées sur le territoire français en évaluant le risque migratoire.»
Les démarches administratives restent les mêmes !
La France augmenterait donc le nombre de visas de circulation et celui des artistes concernés par les mesures. Mais si les critères s’assouplissent, rien n’est prévu à priori pour faciliter la procédure d’obtention des visas. « Le gros problème, c’est que l’artiste est seul face à l’administration » explique Chantal Biayenda, « Un consulat a même exigé que tous les membres d’un groupe, qui avaient pourtant obtenus leurs visas, viennent payer ce qu’ils devaient, le responsable du groupe n’a pas pu payer pour tout le monde ! C’est décourageant ! » Sans compter les délais d’attente : « Il faut deux mois pour avoir un rendez-vous au consulat, un mois seulement si t’as de la chance (…) Après, tu amènes ton dossier avec tous les papiers qu’il faut et quand on te le rend, tu ouvres ton passeport, tu regardes si tu l’as ou pas… si tu l’as t’es content, tu pries, si tu l’as pas, tu pries aussi… On te dit rien ! » confie DJ Spring Bilong.
A partir de la France, pour obtenir le fameux « permis de travail », sésame indispensable à l’ouverture de la première porte des frontières, les programmateurs de festivals doivent fournir à la direction régionale du travail (prenez votre souffle) : Un contrat de travail déjà signé, une attestation d’assurance stipulant la prise en charge des soins en France et le rapatriement, un programme détaillé des endroits où l’artiste va se produire et la copie de son passeport.
« Côté français, c’est plutôt facile, on a le téléphone, les transports, le fax, le mail… mais en Afrique, imaginez ! » s’exclame Chantal Biayenda, chargée de la gestion du festival Musique Métisse : « On pourrait considérer qu’une fois que l’artiste a obtenu son permis de travail, c’est terminé, mais il doit se présenter avec toutes les autres pièces du dossier. Souvent, il n’arrive à avoir son visa qu’un jour ou deux avant le départ !». Et encore, l’association Musique Métisse est aidée par sa notoriété, elle intervient directement auprès des institutions françaises qui connaissent son expérience mais les petites organisations sont parfois contraintes d’annuler des festivals parce qu’elles se voient refuser des visas ! ».
En 2007, le ministère a refusé 53 170 visas à la totalité de la population africaine sur 306 000 accordés. 30 000 artistes africains ont obtenus leurs visas. Au total, 10 ou 15 000 artistes supplémentaires pourraient bénéficier des nouvelles mesures gouvernementales. Un premier bilan de l’efficacité du système mis en place mardi devrait être effectué par la France dans trois mois.
Consulter:
– Les modalités officielles réglementant l’entrée des artistes en France
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