Les protestations contre le film L’Innocence des musulmans se poursuivent ce vendredi dans les capitales des pays de tradition musulmane. Ce film, qui décrirait le prophète Mohammed selon ses détracteurs comme un obsédé sexuel, a déclenché une flambée de violences en Libye et en Egypte, ce mardi. Vincent Geisser, chercheur à l’Institut français du Proche Orient (IFPO Beyrouth), nous explique pourquoi il faut relativiser cette flambée de violences anti-américaines, qui restent soutenues par une minorité, et nous confie que cela ne traduit pas la fin du Printemps arabe. Interview.
L’enquête sur l’attaque du consulat des Etats-Unis à Benghazi, en Libye, avance rapidement puisque quatre suspects viennent d’être arrêtés par la police libyenne. Cet assaut, faisant suite à la diffusion du film L’Innocence des musulmans a causé la mort de l’ambassadeur américain dans le pays et de trois autres Américains, dont deux Navy Seals, membres des forces spéciales de la marine américaine. Les autorités américaines et libyennes pensent que cette flambée de violences n’est pas spontanée, elle serait, selon celles-ci, planifiée par les islamistes. Selon Vincent Geisser, chercheur à l’Institut français du Proche Orient (Ifpo Beyrouth), il ne faut pas tomber dans la théorie du complot organisé pour créer la guerre des civilisations.
Afrik.com : Comment expliquez-vous cette flambée de violences suscitées par ce film L’innocence des musulmans ?
Vincent Geisser : C’est un phénomène de disproportion lié au rapport ambigu entre le Monde arabe et les Etats-Unis. Cette flambée de violences est une chose qui semble surprenante mais cela ne l’est pas. La révolution arabe qui semblait avoir calmé les relations entre le monde arabo-musulman, l’Europe et les Etats-Unis, présente quelques failles. Ce n’est pas le seul facteur. Cette flambée de violences traduit, par ailleurs, une impuissance politique dans ces pays. Comment un simple film, qui n’a même pas vocation à être diffusé, provoque des meurtres ? Cela signifie que les citoyens de ces pays du Maghreb se sentent impuissants face à l’Etat et à leur propre système. Le film n’est qu’un élément déclencheur qui manifeste leur propre impuissance. Cependant, ce mouvement reste minoritaire. Dans le Monde arabe, c’est un phénomène marginal et inquiétant activé par des salafistes. Beaucoup de gens condamnent ces violences et ne comprennent pas comment un simple film peut déclencher de telles réactions : meurtres, immolation, saccages, etc. Or, ce film n’a même pas été réalisé par les Etats-Unis ni par l’ambassade américaine.
Afrik.com : Les autorités américaines et libyennes pensent que cette flambée de violences n’est pas spontanée. Selon vous, peut-on parler de manipulation ?
Vincent Geisser : C’est possible. Quoi qu’il en soit, ils ont réussi à déstabiliser l’Etat. Des productions islamophobes inondent l’Internet. On peut trouver des trucs absolument horribles. C’est le processus, en lui-même, qui est inquiétant. Il ne faut pas non plus tomber dans la théorie du complot organisé pour provoquer la guerre de civilisations. Ce qui est inquiétant c’est qu’il ait fallu si peu pour embraser le Monde arabe. Si ce film a engendré tant de violences, cela veut dire que l’Etat est défaillant. Toutes ces réactions, disproportionnées, traduisent un Monde arabe où les repères politiques ne sont pas claires et brouillés. Le rapport à la citoyenneté et à l’Etat n’est pas encore stabilisé. Même si en Tunisie, il y a eu une vraie révolution arabe, chez beaucoup de gens ordinaires le sentiment d’énervement continue de subsister.
Afrik.com : Le Printemps arabe n’a manifestement pas fait de miracles. Peut-on parler de la fin de la révolution arabe ?
Vincent Geisser : Ce n’est pas la fin du Printemps arabe. Le Printemps arabe consistait à défier la peur de la dictature. Des peuples ont prouvé qu’ils pouvaient renverser un régime autoritaire. Il faut savoir qu’une majorité des musulmans désapprouve cette flambée de violences. La période (des années 50-60s) des dictatures nationales est bel et bien finie. Le Monde arabe a franchi une nouvelle étape qui ne se traduit pas du tout par un retour en arrière.
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