Certains dressent un parallèle entre les affrontements de Villiers-le-Bel (région parisienne) et les émeutes de l’automne 2005. Samir Mihi, président de l’association Au-delà des mots, fait une autre lecture de ces événements. Interview.
L’histoire est-elle en train de se répéter ? A l’automne 2005, les banlieues françaises ont vécu au rythme des violences notamment provoquées par la mort à Clichy-sous-Bois de Zied et Bouna, deux adolescents qui étaient poursuivis par la police. Près de deux ans plus tard, Moushin et Larami, respectivement âgés de 15 et 16 ans, meurent à Villiers-le-Bel (région parisienne) après la collision de leur mini-moto avec un véhicule de police. L’enquête en cours privilégie la thèse de l’accident, mais des jeunes reprochent entre autres aux policiers d’avoir fui le lieu du drame. Pour venger les disparus, ils s’opposent violemment aux forces de l’ordre, malgré l’appel au calme des familles, mais aussi des autorités françaises. Le président de l’association Au-delà des mots, née au lendemain de la mort de Zied et Bouna, estime que le discours apaisant de l’Etat est justement l’un des indices prouvant que les affrontements de Villiers-le-Bel sont différents de ceux de l’automne 2005. Samir Mihi s’explique.
Afrik.com : Quelle est votre réaction face aux violences de Villers-le-Bel ?
Samir Mihi : Ça démontre bien que, deux ans après, rien n’a changé. Les gens vivent dans les mêmes conditions et les procédés pour manifester sont les mêmes. Ce qui n’explique pas et ne légitime pas les violences. Cela dit, même à la fin des violences à Clichy-sous-Bois et dans les autres villes, tout le monde a bien dit que le calme était précaire et que tout pouvait repartir au moindre écart des jeunes ou de la police.
Afrik.com : Certains dressent un parallèle entre les affrontements de Villiers-le-Bel et ceux de l’automne 2005. Qu’en pensez-vous ?
Samir Mihi : On ne peut pas prétendre que c’est la même chose qu’il y a deux ans : le contexte n’est pas le même, les violences n’ont pas démarré au même endroit et pour l’instant on en est à deux nuits de violences. A l’automne 2005, ce qui a étendu les violences de Clichy-sous-Bois à la France est le fait qu’une bombe lacrymogène de la police a été utilisée pour gazer une mosquée. Là, ce qui se passe aux alentours de Villiers se sont des gens qui soutiennent, si on peut parler de soutien, ce qui se passe à Villiers. Mais il ne faut pas oublier aussi qu’il y a des actes de vandalisme volontaires pour faire jouer l’assurance. D’autre part, le syndicat de gauche des policiers a présenté ses condoléances à la famille des victimes.
Afrik.com : Vous estimez aussi que le discours des politiciens est différent d’il y a deux ans…
Samir Mihi : Le discours politique est plus dans l’apaisement et moins dans la stigmatisation et la criminalisation des personnes décédées. Pour Zied et Bouna, on a dit qu’ils n’étaient pas poursuivis par la police et qu’ils étaient connus des services de police. Le président Nicolas Sarkozy, qui en tant que ministre de l’Intérieur avait tenu des propos très durs en 2005, a dit de laisser la Justice déterminer les responsabilités des uns et des autres. On sent que maintenant il est passé à autre chose, qu’il est le président de tous les Français. Son discours est moins accusateur. Certaines leçons de l’automne 2005 ont été retenues.
Afrik.com : Sur l’affaire de Villiers-le-Bel, il existe plusieurs thèses sur les circonstances du drame…
Samir Mihi : D’après l’enquête en cours, il s’agit plus d’un accident de la voie publique, comme on dit, qu’autre chose. Le malheur dans cette histoire est que les jeunes n’ont pas heurté la voiture d’un citoyen lambda mais celle de la police. Ce qui a énervé les jeunes, c’est que, selon certains témoins, les policiers se sont enfuis par peur de représailles. D’autres disent qu’il n’y a pas de traces de freinage urgent sur la chaussée. Il y a aussi le fait que le véhicule de police était à 30m de l’intersection et qu’il était dans un tel état qu’on aurait dit qu’il avait pris un mur ou un camion, pas une mini-moto. Il reste des zones d’ombres, mais il y a une enquête et il vaut mieux laisser les experts faire leur travail. En attendant, chacun doit s’abstenir de faire des hypothèses et faire confiance à la Justice.
Afrik.com : Comptez-vous vous rendre à Villiers-le-Bel pour apaiser les tensions ?
Samir Mihi : S’il y a avait eu une marche silencieuse ce week-end (elle s’est tenue mardi, ndlr), j’y serais allé en tant que citoyen. Mais c’est difficile de prétendre arriver comme un super héros pour apaiser les tensions, de dire de se calmer alors qu’on ne connaît pas le contexte. Chaque quartier a ses spécificités et des acteurs sociaux qui ont bien connaissance du terrain. Alors, moi, Samir Mihi, en me rendant là-bas, je serais plus mal vu qu’autre chose. Chacun a son rôle social dans ce genre d’événements.
Afrik.com : Fadela Amara, la secrétaire d’Etat à la politique de la ville, a rendu visite à l’une des familles endeuillées. Pensez-vous qu’elle parviendra à calmer les esprits ?
Samir Mihi : Je pense que ça ne servira à rien. Certains dans les quartiers ne la connaissent pas, ils ne savent même pas qui c’est. Je pense qu’elle n’a pas la légitimité nécessaire par rapport à ces jeunes et sa visite reste politique. Apaiser les esprit est plus le travail des gens du quartier, des parents, des grands frères… qui ont le recul et la légitimité pour dire que la violence n’est pas la bonne méthode pour faire avancer nos quartiers.
Afrik.com : Avez-vous un conseil à donner aux politiques pour que le calme revienne ?
Samir Mihi : Je leur dirais de prier pour qu’il pleuve et qu’il fasse froid. Ça va calmer les esprits. Le contexte climatique joue beaucoup dans la poursuite ou l’arrêt de ce genre d’événements. Sebastian Roché (sociologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique, ndlr) a écrit sur le sujet.
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Photo : Matin Bureau