Le journal gratuit Direct Matin du groupe Bolloré s’est illustré dans la crise ivoirienne par son soutien discret à Laurent Gbagbo, dont la réélection est contestée par la communauté internationale. Le conglomérat de Vincent Bolloré s’était déjà investi bien au-delà dans la campagne du candidat à la présidentielle ivoirienne, mais se défend aujourd’hui de façon équivoque de l’avoir soutenu sans réserve.
On ne trouve qu’un seul média français pour soutenir, discrètement, Laurent Gbagbo. A la faveur de la crise ivoirienne, on retrouve en effet, dans les pages de Direct Matin (ex-Matin Plus), l’influence du Vincent Bolloré qui se vantait fin 2007 dans Télérama d’avoir « le contrôle de l’éditorial » sur les médias de son groupe. On pensait l’homme d’affaire rangé depuis quelques années de la trop voyante communication pour les intérêts africains de son conglomérat, converti à une plus discrète « diplomatie d’influence ». Il était même devenu difficile de trouver la moindre brève sur l’Afrique dans son gratuit Direct Matin (1,3 million d’exemplaires) ou la moindre évocation du continent sur sa chaîne Direct8 (2,4% de parts de marché). Puis la réélection de Laurent Gbagbo a été remise en cause par la communauté internationale, et la main du grand patron s’est de nouveau fait sentir…
Publi-rédactionnel
La fausse neutralité de la ligne éditoriale de Direct matin ne saurait tromper le lecteur attentif : le titre défend les intérêts du groupe et les idées du grand chef. Quand l’association Acrimed constate que le gratuit sert le couvert d’un dirigeant ivoirien en mal de rééelection, on est donc presque dans la normalité. Avec l’air de ne pas y toucher et sans non plus y consacrer trop de place, le quotidien gratuit positionne de fait Laurent Gbagbo et Alassane Outtara sur un pied d’égalité, « oublie » certaines informations défavorables à Gbagbo, quand il ne met pas directement son rival en accusation : « La main tendue de Gbagbo rejetée par Ouattara », peut-on ainsi lire en une de l’édition du 5 janvier.
Gbagbo n’est pas pour autant le premier à profiter d’une couverture médiatique en sa faveur de la part du groupe Bolloré. Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Paul Biya (Cameroun) ou Nelson Mandela[[Alors en tournée européenne pour la lutte anti-SIDA avec l’aide financière de Vincent Bolloré, selon Télérama]] (Afrique du Sud) l’avaient précédé, avec rien de moins à l’époque que la une de Direct Matin, accompagnée à chaque fois d’un article dithyrambique tablant sur l’ignorance du lectorat quant à la réalité de la situation sur place.
Nous sommes en 2007 et Vincent Bolloré n’hésite pas alors à utiliser ses médias pour flatter l’ego des chefs d’Etat africains avec qui il souhaite commercer. Sur Direct 8, Abdoulaye Wade se voit ainsi offrir une seconde tribune, dans l’émission « Paroles d’Afrique » animée par un ancien ministre de la Coopération, alors vice-président du groupe Bolloré, Michel Roussin. Au même moment ont lieu d’intenses négociations pour le contrôle du port de Dakar, un marché sénégalais finalement emporté par Dubai Ports malgré les efforts déployés. Parmi les invités de la chaîne, se trouvent également Denis Sassou Nguesso (Congo) et feu Omar Bongo (Gabon).
Communication clé en main
Pourtant, le retour de Direct Matin à la propagande africaine de Vincent Bolloré détonne. Bien sûr, le port d’Abidjan (Côte d’Ivoire) est le plus important exploité par le groupe sur le continent. Mais on avait pu constater depuis trois ans une « accalmie ». Les bonnes relations tendaient à être entretenues par des voies plus discrètes. Parmi ces dispositions moins visibles, Laurent Gbagbo a ainsi pu profiter, durant sa campagne, des conseils de Stéphane Fouks, a tête de l’agence de communication Euro RSCG (groupe Havas, contrôlé par Bolloré), et peut-être même d’un peu plus encore. Selon Le Parisien du 4 janvier, Nicolas Sarkozy lui-même se serait ému d’une série de sondages aux résultats très favorables à Gbagbo, commandés par Euro RSCG à l’institut TNS Sofrès. Patricia Balme (PB International), conseillère d’Alassane Ouattara, accuse alors directement, dans les pages du quotidien : « Les conseillers de Stéphane Fouks ont juré à Gbagbo qu’il gagnerait facilement l’élection. Ils l’ont mis dans une disposition d’esprit telle qu’il ne s’attendait pas à perdre. C’est une des raisons pour lesquelles il s’accroche à son poste. »
Pourquoi ce soutien au candidat Gbagbo ? « Parce que Vincent Bolloré a des intérêts dans toute l’Afrique », répond sans détour Jacques Séguéla, vice-président d’Havas, interrogé en décembre dans l’émission « Question d’info » (LCP/AFP/France Info). « Il a conseillé Gbagbo de longue date », ajoute-t-il, même si « toute collaboration a été instantanément stoppée dès les premiers incidents[[Selon Stéphane Fouks, interrogé par Le Parisien le 4 janvier, le contrat devait de toute manière prendre fin le soir du second tour.]] ». Un revirement expliqué par une exigence « démocratique » d’Havas, explique-t-il.
Mais on ne saurait penser qu’il s’agit là d’un simple service d’une entreprise à son client. « Ça ne rapporte rien », concède Séguéla. Du moins rien de direct, mais assez pour que la « diplomatie d’influence » continue dans Direct Matin. De plus, Stéphane Fouks est également conseiller pour Paul Biya (Cameroun) et Ali Bongo (Gabon) selon La Lettre du continent, des présidents peu soupçonnés d’être de grands démocrates.
Cette opération de séduction ne se limite pas non plus à la simple aide à la communication, puisque Bolloré finance par exemple – pour un montant officiellement modique – la fondation de l’épouse du président camerounais, Chantal Biya. Un engagement intéressé ? Non, selon le directeur général de Bolloré Africa Logistics (BAL), Dominique Lafont (interrogé par Rue89 en décembre 2009), uniquement parce qu’elle « œuvre très sincèrement contre certaines pandémies et pour l’enfance », avec « des résultats positifs ». Le fait que BAL soit entre autres concessionnaire au Cameroun du port de Douala n’a probablement rien à voir.
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Photo : affiche électorale pour Laurent Gbagbo à Paris (busy.pochi/Flickr – Creative Commons)