Le Sénégal est réputé pour être un pays où la mendicité connaît des proportions inquiétantes. Au nombre de ces mendiants, les enfants talibés qui pullulent dans les rues du pays. Aujourd’hui, un nouveau phénomène voit le jour au pays de la Téranga : les enfants-ferrailleurs.
Après les enfants-talibés, le Sénégal est aujourd’hui envahi par les enfants-ferrailleurs. Ces chérubins récupérateurs de ferraille, sur leur propre initiative ou sur celles d’adultes. Une activité qui apporte des revenus leur permettant de subvenir aux besoins de leurs familles. C’est à croire que de moins en moins d’enfants vont à l’école dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Afrik.com s’est intéressé à ce phénomène galopant.
Reportage
Vieux bols, pots et chute de fer de construction, cible des enfants
Il est 08h30, au village de Sarah Badiane, dans la région de Thiès (70 kilomètres de Dakar). Notre attention est attirée par trois jeunes enfants qui font le tour des chantiers de ce village érigé il y a pas longtemps. Normal que les maisons poussent comme des champignons. Et c’est la zone de prédilection des enfants à la recherche de ferraille. Outre les vieux bols et autres pots (conserve de tomate, jus de fruits, sardines…), les gamins parviennent à dénicher des chutes de fer de construction.
Certains d’entre eux ne se limitent pas aux chutes de fer ramassées sur les chantiers, ils partent souvent avec des outils métalliques oubliés par les ouvriers. Pinces, arrache-clou, tenailles, griffes… Tout y passe. Ces enfants jettent leur dévolu sur tout ce qui est métallique et à leur portée. Et c’est ainsi que certains d’entre eux sont amenés à commettre des vols. D’autant qu’ils précèdent les ouvriers sur leurs lieux de travail. Comme ceux que nous avons rencontrés à Sarrah Badiane.
« Le marabout nous battait avec une courroie, de toutes ses forces »
Tous les trois tenaient un sac à peine rempli de différents métaux. « Quelques objets en aluminium, des boîtes de jus de fruits, des tiges métalliques ». C’est en ces termes que l’un d’eux nous résume le contenu de son sac. Son nom, Modou Fall, il est âgé d’à peine 12 ans. Il n’a jamais fait l’école française. Toutefois, il a taquiné le coran dont il connaît quelques versets. « J’avais un marabout très violent, qui passait tout son temps à me frapper », lance-t-il, le regard subitement hagard.
« Elle m’a envoyé à l’école coranique, une sorte d’internat. Mes trois sœurs, elles, sont parties assurer des travaux domestiques. Ce qui faisait un peu de revenu à ma mère qui, elle, faisait le linge dans les maisons »
Nos questions venaient de le renvoyer à un passé visiblement douloureux. « Il nous battait avec une courroie, de toutes ses forces. J’ai alors décidé de fuguer. Après une semaine d’absence, pensant qu’à mon retour, il aura médité pour se montrer plus clément, c’était tout le contraire. Il s’est acharné sur ma personne, de la manière la plus violente. J’ai alors pris ma décision de ne plus retourner dans cette école coranique où on mendiait plus qu’on n’apprenait », poursuit l’enfant.
« Une partie de mes recettes envoyée à la mère »
Étant habitué à avoir un peu de recette et ne voulant plus mendier, au risque de croiser ses anciens camarades et se faire dénoncer, il change de ville et de « profession ». J’ai quitté la ville de Ngaye Mékhé (120 kilomètres au Nord de Dakar) pour rallier Thiès et me lancer dans la recherche de ferraille. Oui, j’ai fugué, mais je n’avais pas le choix. Si jamais je retournais à l’école coranique, c’était une mort certaine. J’allais finir attaché à un poteau », confesse-t-il.
« Je me suis rapproché d’un monsieur, un ferrailleur grossiste qui nous achète tout ce qu’on ramène comme ferraille. Il nous le prend le kilo à 100 FCFA. Parfois, on revient facilement avec quinze kilos, ce qui nous fait 1500 FCFA. Cela me suffit largement pour les garder et en envoyer à ma mère. Parfois 5000 francs par semaine, parfois moins », poursuit-il la mine serrée. Si Modou est allé à l’école coranique, c’est parce que son papa est décédé. Sa mère n’ayant pas les moyens d’entretenir les quatre enfants à sa charge, les a ventilés.
« Nous avons tous le même destin »
« Elle m’a envoyé à l’école coranique, une sorte d’internat. Mes trois sœurs, elles, sont parties assurer des travaux domestiques. Ce qui faisait un peu de revenu à ma mère qui, elle, faisait le linge dans les maisons », poursuit l’enfant. Dans la Capitale du rail, Modou n’a pas d’attache. Il passe la nuit au marché, à côté d’autres jeunes gens, un peu plus âgés et plus costauds que lui. Eux sont venus monnayer leur force, en déchargeant les camions de marchandises. « Nous sommes devenus comme une famille, car nous avons quasiment tous le même destin », confie-t-il.
« Une fois, un maçon m’a malmené d’une façon que je n’oublierai jamais. Alors que je passais aux alentours de son chantier, le gars m’a interpellé. La veille, il avait oublié quelques outils sur son chantier, et qu’il ne retrouvait pas le lendemain matin »
Le métier de ramasseur de ferraille n’est toutefois pas de tout repos. Il arrive que Modou passe une journée entière sans être en mesure de réunir 2 kilos de métal. « Quand c’est comme ça, je mets le tout sous le coup du destin. Comme nous n’avons pas destination fixe, il nous arrive d’emprunter le mauvais trajet. Ce qui conduit à une journée misère, sans assez de matière à écouler. Mais cela va avec. La vie n’est pas tout le temps rose », se console-t-il, petit sourire au coin.
« J’ambitionne de m’acheter une moto pour transporter des personnes »
La vie peut même parfois s’avérer très difficile pour Modou qui se souvient être une fois passé à tabac. « Une fois, un maçon m’a malmené d’une façon que je n’oublierai jamais. Alors que je passais aux alentours de son chantier, le gars m’a interpellé. La veille, il avait oublié quelques outils sur son chantier, et qu’il ne retrouvait pas le lendemain matin. Malchanceux que j’étais; il a cru que c’est moi qui les avait emportés. Et il s’est acharné sur ma personne ».
Un métier à haut risque que Modou compte abandonner une fois grand. « J’ambitionne de m’acheter une moto pour transporter des personnes. Seulement, je n’ai pas encore l’âge. Mes recettes, je les confie au boutiquier, après avoir défalqué de quoi m’assurer la bouillie du soir ». Ce plat à base de mil, le jeune dit en raffoler. « Cela me rappelle les délicieuses bouilles que ma mère nous servait du vivant de mon père. Avec du lait frais ou du lait caillé », se souvient-il, la mine triste.