Les univers musicaux des africains mis en esclavage dans les Amériques et les Caraïbes et de leurs descendants, sont ceux créés, réinventés par ces derniers en fonction des nouveaux environnements dans lesquels ils ont été contraints de se retrouver. Ce sont des musiques, des danses accompagnées d’instruments, de rituels etc. qui ne sont restées africaines qu’au tout début, mais qui avec le temps, en gardant des éléments divers venus d’Afrique, comme le rythme, des rituels, les thématiques ou certains instruments, ont intégré les éléments nouveaux trouvés sur place, dans un processus de métissage à différents degrés, avec les univers musicaux, et les rythmes des colons européens et des amérindiens avec lesquels ils ont cohabité.
LE CONTEXTE DE LA CRÉATION
Processus du métissage menant aux univers musicaux des afroaméricains
Prêtons tout d’abord attention au processus de syncrétismes en tentant de le modéliser de manière simplifiée. Rappelons que les syncrétismes touchent à la fois les instruments de musiques, les rituels, les rythmes musicaux, les danses, les thématiques, la langue etc.
a – Manifestation des expressions musicales, de chants et de danse comme dans la communauté en Afrique (seule différence : le territoire),
b – Échanges, intégration des éléments des univers musicaux d’autres communautés africaines qui entrainent la création de nouveaux univers issus du mélange d’univers africains au départ différents,
c – Échanges, intégration, appropriation, et création d’univers musicaux composés d’éléments purement africains issus du syncrétisme entre les communautés africaines d’une part et d’éléments des univers musicaux européens et- ou amérindiens d’autre part (syncrétismes afro-européo-amérindien, afro-européen, ou encore afro-amérindien).
On note à l’étape C l’importance de l’appropriation. Néstor Emiro Gómez Ramos dans La música negra del círculo caribeño en explique la portée.
« Cependant, ce qu’on appelle parfois syncrétisme fut pour les africains ‘‘quelque chose qui correspond plus au concept ‘d’appropriation’ dans le sens de prendre pour l’usage propre et de sa propre initiative les éléments divers et même hégémoniques ou imposés, en contraste avec le fait d’assumer une attitude d’éclectisme passive ou de synthèse. » [1]
Les étapes ci-dessus ne se produisent pas nécessairement dans un ordre chronologique, et continuent d’évoluer de nos jours. Nous suggérons tout de même que c’est à la dernière étape que l’on en arrive à des univers musicaux qui ne sont plus africains, mais plutôt afroaméricains. De cette modélisation, il ressort que, à un moment donné se produit une rencontre entre l’ancien et le nouveau.
Lorsqu’on enlevait des africains pour les mener en esclavage, ceux-ci partaient d’un milieu culturel, avec ses codes, ses manifestations précises. Dans les Amériques, ils ont d’une part fait appel à la mémoire – l’ancien -, et d’autre part utilisé leur créativité et subis l’influence de la nouvelle expérience de vie dans des contextes particuliers – le nouveau.
L’ancien serait par exemple l’omniprésence du tambour dans toute la musique afro de l’Amérique Latine et des Caraïbes, ainsi que les mémoires identitaires culturelles transmises par les premiers esclaves à leurs descendants.
En ce qui concerne le nouveau, il y a par exemple la langue d’expression ou l’ajout d’instruments de musique ou de rythmiques venus d’Europe, ou appartenant aux cultures amérindiennes, les vêtements et certains accessoires, la création de nouveaux instruments ne venant pas d’Afrique, ni d’Europe ou alors des Amérindiens. C’est le cas par exemple au Pérou du Cajon et du Checo, deux instruments créés par les esclaves noirs lorsque les autorités interdirent l’usage des instruments d’origine africaine comme le tambour et la marimba.
Dans Los negros expertos en el Bricolaje, Jaime Arocha cité par Wikipédia fait référence à la mémoire et à l’ancien comme servant de base aux esclaves et à leurs descendants dans ce processus de création :
«Dans cette transformation, l’improvisation dû faire partie de la genèse et de l’ethnogenèse de tels systèmes. Jaime Arocha (1991, 1993) évoque la notion de bricolage employée par Francois Jacob (1991) pour représenter les processus de création dans lesquels la raison et le sentiment sont des guides de l’improvisation culturelle. Arocha attire également l’attention en expliquant que le concept de bricolage des noirs : consiste en la recherche d’alternatives en manipulant ce qu’on a déjà, en utilisant l’intuition comme boussole et l’expérimentation comme stratégie.» (Arocha 1993). [2]
Notons que du fait de la diversité et de la complexité des syncrétismes qui se sont produits à tous les niveaux dans le processus de créations des univers musicaux des esclaves africains et de leurs descendants, il est impossible de mesurer avec exactitude le degré d’africanité de chacun d’eux.
UNE CRÉATIVITÉ RICHE ET DIVERSE
Tout observateur averti sera frappé par la richesse des univers musicaux créés par les esclaves africains et leurs descendants entre le 17ème et le 19ème siècle. Qu’est-ce-qui explique cette abondante créativité et quelles sont les caractéristiques essentielles de ces univers musicaux?
ORIGINES DE LA DIVERSITÉ, DE LA CRÉATIVITÉ
Nous suggérons deux réponses possibles : les syncrétismes et la démocratie culturelle propreS aux africains et à leurs descendants.
Les syncrétismes
Deux processus de syncrétisation se sont produits pour donner naissance à ces univers musicaux comme indiqué plus haut.
Pour revenir au premier syncrétisme, on sait que les esclaves provenaient de plusieurs régions de l’Afrique, avec des cultures différenciées. Le musicien cubain Juan de Marcos González est d’ailleurs très précis lorsqu’on lui demande dans une entrevue accordée à La Opinion de Murcia d’expliquer le succès de la musique afrocubaine de nos jours. Il dit ceci :
«La musique cubaine a toujours connu beaucoup de succès, surtout à cause du métissage de différents éléments de la civilisation occidentale et africaine. De plus, la culture africaine elle-même qui est arrivée en Amérique par le biais de l’esclavage était métisse. Par exemple, le Nigéria n’a jamais existé comme une nation, c’est un conglomérat d’ethnies, chacune avec son substrat culturel. » [3]
L’expression d’une démocratie et d’une liberté culturelles
Deuxième élément d’explication que nous suggérons : cette diversité est l’expression d’une démocratie culturelle, une liberté de l’expression individuelle dans la danse, le chant, l’exécution de toute sorte d’instruments et autres, qui ne brime pas la créativité. On peut partant de là affirmer que cet état d’esprit des africains et de leurs descendants touchait à coup sûr les autres domaines que la culture, ce d’autant plus que les univers des musiques des esclaves africains et de leurs descendants ne sont pas détachés du reste de leurs vies.
Nous reviendrons sur cette notion de démocratie culturelle, comme une des caractéristiques centrale des univers musicaux des esclaves et de leurs descendants, mais on constatera également qu’elle est le fondement dans la majorité des caractéristiques plus techniques.