Dans la dernière pièce de l’écrivain algérien Aziz Chouaki, Une Virée, trois jeunes Algérois à la dérive confrontent leur mal-être. Portée par une écriture incisive, mise en scène par Jean-Louis Martinelli au Théâtre des Amandiers et jouée par des acteurs excellents, la pièce est sombre et drôle à la fois. Une nuit d’ivresse excessive et dramatique à découvrir jusqu’au 19 décembre.
Du béton nu sur la scène. Un hangar organisé autour d’un escalier. Lieu brut et impersonnel. La pièce se passe à Alger. Trois anti-héros se partagent l’espace : Lakhdar, « famille de 12 dans cage-à-lapins » qui s’en sort plus ou moins grâce à la musique, à des mariages à droite à gauche, guitare en bandoulière et voix cassée. Mokhtar, sa famille vit dans 30m2, il préfère dormir sur son lieu de travail, une fabrique de sandales ; quand il ne bosse pas, il pique les portefeuilles des richards algérois et repense à Nedjma qui l’a quitté pour un « immigré ». Rachid, sans père ni mère, élevé par un oncle incestueux qu’il a liquidé à 15 ans, vit dans la rue, « n’est dans rien mais qu’est-ce-que c’est bon ». Trois personnages qui, comme les décrit l’auteur, sont « déchiquetés entre les images formatées du monde occidental et le vide de leur cité ».
Trois personnages qui nous entraînent dans leur « virée » d’une nuit où l’alcool et la drogue se mélangent comme dans un Las Vegas parano oriental. Les références au cinéma américain, films de guerre et de gangsters, se mêlent aux pubs télé, mythes d’un ailleurs forcément meilleur. Le débit est rapide, fiévreux, enragé et parfois terriblement triste. Mais, aux pires moments de cette nuit d’ivresse poussée à son paroxysme, Aziz Chouaki atteint la prouesse de nous faire rire. Mais vraiment rire aux éclats. Et ses personnages ne sont pas seulement paumés, agressifs et mal dans leur peau. Ils sont touchants et plein de sensibilité, interprétés de très belle façon par Hammou Graïa, qui roule sa bosse depuis les années 70, et par deux jeunes acteurs époustouflants : Zachariya Gouram et Mounir Margoum. Les trois acteurs, au jeu rugueux et aiguisé, font corps avec l’écriture si particulière d’Aziz Chouaki, qui revendique une langue « impure, sexuée, bâtarde, mêlée comme le créole ».
Trois hommes à la dérive
Le metteur en scène Jean-Louis Martinelli, directeur du Théâtre des Amandiers depuis janvier 2002, a lu le roman d’Aziz Chouaki, L’Etoile d’Alger. Frappé par la « langue incisive, brute », il lui commande un texte. « Une Virée fait suite à nos conversations », précise Jean-Louis Martinelli. « Ces trois jeunes hommes, en virée, en dérive, en revirements, me bouleversent. Réduits à n’être que les commentateurs d’une histoire qui leur échappe, ils luttent dans le vide avec fougue et énergie. Cette pièce se passe à Alger, certes, et l’histoire de l’Algérie passionnée, douloureuse, incompréhensible, est présente à chaque instant et pourtant, nous pourrions retrouver ces trois-là, leur révolte, leur irrespect nourris d’immenses frustrations en tout point du globe. »
Une Virée est à l’origine une nouvelle parue en 1990 dans l’hebdomadaire algérien Le Nouvel Hebdo. « Cette pièce montre les personnages aux prises avec un réel piégé, sans issue », explique Aziz Chouaki. « Ils évoluent dans leur dérive comme des sortes de boussoles détraquées. Car même le Nord (au sens « Perds pas le Nord »), semble totalement absent dans cet univers. A un certain endroit, ce texte est aussi un franc bouquet de sensations, d’odeurs, de tchatche. Un hommage à l’idée d’un certain possible, bientôt, en Algérie. »
Une virée, d’Aziz Chouaki. Mise en scène de Jean-Louis Martinelli. Avec Hammou Graïa, Zachariya Gouram et Mounir Margoum. Du 12 novembre au 19 décembre 2004 au Théâtre Nanterre-Amandiers (01 46 14 70 00).
Tournée : du 11 au 22 janvier 2005 au Théâtre National de Bretagne à Rennes et le 5 février au Théâtre des Sources, Fontenay-aux-Roses.
Le texte d’Une virée est publié aux éditions Balland.
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