Il fallait à Laurent Gbagbo, l’actuel président de la Côte d’Ivoire, une large victoire pour réussir son passage en force, entre présidentielles tronquées et législatives tronquées. Une victoire sans nuances, écrasante, pour laisser sans voix les détracteurs de celui qui affirme vouloir jeter les bases d’une seconde république ivoirienne en surfant sur la vague euphorique d’un large soutien populaire. Mission accomplie ? En dépit des apparences, non. Certes, le parti du président, le FPI a gagné les élections législatives qui devaient lui assurer une légitimité, après des présidentielles entachées par les exclusions des candidats du PDCI, M Bombet, et surtout, d’Alassane Ouattara, pour le RDR.
Le FPI a certes, opéré une véritable razzia sur les sièges de l’Assemblée nationale, avec 83 élus, contre 68 pour le PDCI, multipliant par sept ses résultats par rapport aux précédentes législatives. En dix ans, le FPI a réussi à passer de la clandestinité à la place de leader dans le concert des partis ivoiriens.
En revanche, même si les prochains résultats attendus devraient confirmer cette victoire – il reste encore 54 sièges à pourvoir -, ils ne devraient pas lui assurer la majorité absolue. Pour gouverner, Laurent Gbagbo devra composer avec l’ancien parti unique dont l’affairisme et les divisions en font un partenaire délétère. En outre, le taux de participation de ces législatives (34%) n’a guère a envier aux ubuesques présidentielles (29%) dont, circonstance aggravante, le PDCI était exclu.
Eliminé sur décision d’une Cour suprême présidée par l’ancien conseiller juridique du général Gueï, Alassane Ouattara est encore plus légitime aujourd’hui pour se placer en leader d’une coalition de « sans voix » ivoiriens, libéraux, musulmans… qu’il ne l’était hier. Le poids réel du RDR n’ayant pu être évalué par le jeu des élections, c’est donc une majorité « par le vide », sans doute largement plus importante que son influence réelle, qu’a accordé M Gbagbo à son plus redoutable adversaire. M. Ouattara et son parti risquent également, dans le futur, d’aimanter les déçus du « gbagboïsme » et constituer le candidat de l’alternance d’un régime qui devra composer avec le parti du système, le PDCI. Difficile dans ce cas, d’endosser l’habit du refondateur d’une démocratie ivoirienne à la dérive.
Aux élections présidentielles, face à un chef de junte ubuesque, M Gbagbo s’était fait le candidat de tous les démocrates et l’avait emporté. Aux législatives, tant à l’étranger, qu’à l’intérieur, Laurent Gbagbo aura échoué à paraître comme le candidat de la majorité des Ivoiriens. A défaut d’une victoire nette et sans bavure, le président devra compter sur son sens – aiguisé – de la politique et ses qualités – évidentes – de tacticien et de stratège. Sa longue culture de « minoritaire », l’y aidera. Mais dans un pays où l’insurrection prévaut au Nord, il lui faudra apprendre à vaincre sans ces innombrables tours de passe-passe politicards qui avaient fini par user son prédécesseur. Or, Gbagbo en est-il capable ? That is the question.