La circoncision masculine est-elle la nouvelle vedette de la prévention contre le VIH/SIDA ou une expérience sociale dangereuse qui menace de priver les stratégies de prévention efficaces des fonds qui leur sont alloués ? IRIN/PlusNews consacre un dossier spécial à cette question.
Le Programme commun des Nations Unies sur le sida (Onusida) fait preuve de prudence et souligne : « Il est de notre devoir absolu de nous assurer que les hommes et les femmes ont conscience que la circoncision masculine n’est pas le « remède miracle ». Elle ne protège absolument pas à cent pour cent contre le virus et les individus ne doivent pas cesser d’avoir des pratiques sexuelles à moindre risque. »
Les précautions prises par l’Onusida font suite à l’excitation et au débat qui ont accompagné les résultats de trois larges essais cliniques effectués en Afrique du Sud, au Kenya et en Ouganda, en 2005 et 2006. En effet, les résultats de ces études semblaient prouver que la circoncision réduisait de 50 à 60 pour cent le risque d’infection à VIH chez l’homme.
Une simple intervention médicale – déjà largement pratiquée dans beaucoup de cultures africaines – qui pourrait fortement réduire le risque de transmission du virus vient perturber le long travail de sensibilisation visant à inciter les populations à modifier leurs comportements sexuels.
Des agences onusiennes, des bailleurs de fonds importants basés aux Etats-Unis et plus récemment des ministères de la Santé de pays africains souhaitent que la circoncision masculine trouve sa place dans l’histoire de la lutte contre la pandémie.
Cependant, des spécialistes en sciences sociales et des chercheurs s’opposent à cette démarche car selon eux, il n’existe pas suffisamment de preuves solides pour justifier la généralisation de la pratique de la circoncision.
En effet, on ne sait toujours pas si le prépuce accroît les risques d’infection et on n’explique toujours pas pourquoi en Afrique du Sud, les communautés qui pratiquent la circoncision sont autant exposées au virus que celles qui ne la pratiquent pas.
Le sentiment de frustration qui accompagne les lents progrès réalisés par les programmes de prévention classiques a incité les responsables de la lutte « à trouver désespérément quelque chose qui marche. De plus en plus de pressions sont exercées sur eux afin qu’ils proposent une intervention biomédicale », a expliqué le professeur Peter Aggleton, chercheur à l’Université de Londres.
« Cela revient à établir un ordre du jour que l’on prétend fondé sur des preuves alors qu’aucune recherche n’a été jusqu’alors menée », a-t-il ajouté.
Pas une solution miracle
Toutefois, les deux parties au débat reconnaissent le danger selon lequel les hommes pourraient considérer la circoncision comme une solution miracle et ignorer les exhortations des responsables de la santé publique à utiliser des préservatifs et à réduire leur nombre de partenaires sexuels.
Les personnes s’opposant à la circoncision comme méthode de prévention s’interrogent sur les raisons pour lesquelles la promotion du préservatif devrait éventuellement s’effacer alors que le préservatif protège contre l’infection à VIH à près de 90 pour cent, et que les responsables de la lutte contre le sida se sont livrés à une véritable bataille afin d’encourager les hommes à adopter cette méthode de prévention.
Selon Richard Delate, directeur des communications auprès du Programme sur l’éducation et la santé de l’Université Johns Hopkins, en Afrique du Sud, la circoncision doit être uniquement considérée comme une méthode de prévention supplémentaire.
« Les hommes doivent avoir le droit de choisir … et avec la circoncision, nous avons la possibilité de faire parler les hommes de leur pénis en lien avec la santé sexuelle et de la reproduction », a-t-il déclaré.
Cela fait près de 25 ans que la population est sensibilisée aux dangers du VIH/SIDA, cependant l’utilisation du préservatif demeure péniblement faible, a-t-il déploré.
Toutefois, la circoncision n’est pas seulement une intervention chirurgicale et pour de nombreux hommes, elle est porteuse d’une lourde signification, liée à l’identité et à la virilité.
Pour les spécialistes en sciences sociales, qui se sentent exclus du débat, la circoncision revêt un caractère fortement politique et permet aux hommes de marquer leur différence sociale, leur statut et leur pouvoir.
Une circoncision massive peut-elle porter ses fruits dans des sociétés pluriethniques où les hommes se servent de cette pratique – ou de l’absence de cette pratique – pour revendiquer l’appartenance à un groupe, à une culture et, où presque inévitablement, le chauvinisme est au centre du débat ?
Pour Richard Delate, il est évident que les cultures peuvent changer et il a rappelé que les Zoulous d’Afrique du Sud, qui pratiquaient la circoncision, se sont conformés à un décret promulgué par le Roi Shaka, au cours du XIXe siècle, et ont cessé cette pratique.
« Il nous faut travailler avec les structures traditionnelles et leur expliquer non seulement la portée de la circoncision, mais également celle du VIH en général », a poursuivi M. Delate.
Un rite initiatique
Dans les sociétés qui pratiquent la circoncision, les rites sont chargés d’une signification qui va bien au-delà d’une simple ablation du prépuce.
En effet, la circoncision est un rite de passage à l’âge adulte, au cours duquel les codes culturels et comportementaux sont transmis d’une génération à l’autre. En outre, d’importantes infections à VIH sont à déplorer au cours de ce rite initiatique.
Le nord de la Zambie, où la circoncision est la norme, enregistre le taux de prévalence du VIH le moins élevé du pays. Cependant, selon Mutamba Simapuka, de l’hôpital militaire de Maina Soko, situé à Lusaka, la capitale, la faible prévalence dans cette région du pays n’est pas uniquement liée à cette intervention médicale : en effet, les jeunes hommes sont également sensibilisés à la fidélité dans les relations sexuelles.
Toutefois, le taux de prévalence parmi les hommes du nord venus s’installer à Lusaka, une ville aux mœurs plus débridées, est « semblable à celui de la population locale », a souligné Mutamba Simapuka.
Les méthodes traditionnelles utilisées pour pratiquer la circoncision présentent également des risques. Dans le cadre de ce rite initiatique, le jeune homme doit avant tout démontrer sa force et sa résistance. De plus, les questions liées au consentement sont problématiques.
L’Onusida rappelle que « pour garantir des opérations hygiéniques et sans danger, la circoncision masculine doit être uniquement pratiquée par des médecins formés et dans des conditions sanitaires irréprochables. En outre, les praticiens doivent s’engager à respecter la confidentialité du patient, conseiller et assurer la sécurité de ce dernier. »
Ici encore, tout est question de moyens financiers. La circoncision est présentée comme une nouvelle méthode de prévention du VIH/SIDA, mais les services sanitaires africains sont déjà débordés de travail, manquent de ressources et se battent pour parvenir à prodiguer les soins élémentaires aux populations. Doit-on ajouter une nouvelle charge sur les épaules de ces systèmes déjà affaiblis ?
Les personnes opposées à la circoncision craignent que des nouveaux fonds soient proposés aux gouvernements, qui doivent s’engager en échange à promouvoir la pratique de la circoncision.
Une telle situation aurait pour conséquence de « saper les efforts de lutte qui sont actuellement déployés de manière globale et équitable », a estimé M. Aggleton.
A l’inverse, les personnes favorables à la promotion de la circoncision sont préoccupées par l’insuffisance de financement.
« Il nous faudra examiner le financement du renforcement de la capacité des systèmes sanitaires, avec les conséquences positives que cela entraîne [au-delà de la circoncision] », a conclu M. Delate.
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