Une lettre d’amour à l’Afrique du Sud


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Zulu love letter est sur les écrans français depuis ce mercredi. L’occasion pour Afrik de revenir sur ce film très critique, mais plein d’espoir et d’amour, dont l’action se situe deux ans après la fin l’Apartheid en Afrique du Sud. Entretien avec son réalisateur, le Sud-africain Ramadan Suleman.

_resize_Ramadan_Sulemanok.jpg Né en 1955 à Durban, le réalisateur sud-africain Ramadan Suleman s’est initié en 1983 au cinéma, qu’il continuera d’étudier à Paris, grâce aux ateliers Varan dans l’Afrique du Sud ségrégationniste. Après Fools (1997), son second long métrage Zulu love letter est une plongée dans l’Afrique du Sud, deux ans après l’avènement, en 1994, de la démocratie qui marque la fin de l’Apartheid. Le film est également une réflexion, autour du personnage de Thandeka, une journaliste noire qui a assisté, il y a dix ans, au meurtre d’une activiste, sur la manière dont les blessures du passé se pansent à l’échelle d’un individu, d’une nation. Cet horrible souvenir et ses conséquences continuent d’empoisonner le présent de la jeune femme, notamment ses relations avec sa fille sourde et muette. Mais, les démons du passé ressurgissent de plus belle quand Me’Tau vient lui demander de l’aide pour retrouver les restes de Dinéo, son enfant disparu. Pour le cinéaste sud-africain, toutes les auditions de la Commission vérité et réconciliation, que son pays connût à cette époque, ne peuvent rien face à la douleur des victimes de l’Apartheid. A chaque noir Sud-Africain de trouver les moyens de vivre avec le passé, d’autant plus qui lui est encore souvent rappelé de bien désagréable manière.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi en trame de fond la « Zulu love letter » (lettre d’amour zoulou), motif perlé sud-africain qui exprime « la nostalgie de beauté, d’amour et de paix »?

Ramadan Suleman : Ce choix exprime la transmission de la mémoire de la grand-mère – la mère de Thandeka – à sa petite-fille Mangi qui utilise la lettre d’amour zoulou comme un projet pour sa mère, qui elle-même l’offre à la mémoire de Dinéo. Cette lettre est l’expression de la transmission, d’une génération à l’autre, de la tradition et de la mémoire. Cette mémoire qui va permettre à Mangi de commencer à comprendre le passé de sa mère et qui réconcilie la mère et la fille.

Afrik.com : Les héros de Zulu love letter sont des héroïnes. Pensez-vous que les femmes ont plus souffert de l’apartheid ?

Ramadan Suleman :
Ce sont généralement les femmes qui souffrent le plus et ce n’est pas seulement en Afrique du Sud. Dans le monde, en Argentine, au Paraguay…partout les femmes se sacrifient énormément. J’en suis la preuve vivante. Ma mère a tout fait et tout accepté pour que j’aille à l’école. Dans les années 50-60, beaucoup d’artistes, à l’instar de nombreux Sud-Africains, ont quitté le pays, beaucoup de femmes sont donc restées seules, sans mari. De même que beaucoup d’hommes allaient travailler à 600, 1000 km de chez eux laissant leurs femmes s’occuper des enfants. L’Afrique du Sud d’aujourd’hui est le résultat du travail de ces femmes. Si l’Afrique du Sud est un pays libre et démocratique depuis 12 ans, c’est grâce aux Sud-africaines.

Afrik.com : A travers ce film, vous dites en substance que le passé ne peut pas s’effacer d’un coup de baguette magique, surtout si c’est le souhait des politiques à travers par exemple la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud ?

Ramadan Suleman :
La politique ne peut pas déterminer le processus de deuil, elle peut juste aider les gens dans cette démarche. Par exemple, à travers des centres, où les gens peuvent venir discuter car, chez nous, on ne fait pas, on ne peut pas faire son deuil seul. On ne peut pas imposer le pardon, sinon c’est dangereux.

Afrik.com : Vous montrez aussi que les anciens bourreaux sont toujours là ?

Ramadan Suleman :
Ils sont toujours là et peuvent encore commettre des crimes. Ils ne peuvent peut-être plus menacer des gens comme Thandeka, mais ils constituent encore un danger contre lequel nos seuls remparts sont l’Etat et la justice.

Afrik.com : Si on ne devait retenir qu’un seul message de ce film, quel serait-il ?

Ramadan Suleman :
L’amour ! L’amour d’une mère pour sa fille : Thandeka et Mangi, d’une autre qui cherche sa fille : Me’Tau et Dineo. Zulu love letter est un voyage d’amour.

Afrik.com : Le cinéma sud-africain est de plus en plus visible en occident Tsotsi a obtenu récemment l’Oscar du meilleur film étranger, U-Carmen ekhayelitsha est sorti il y quelques semaines en France…On sent comme un renouveau, une effervescence du cinéma sud-africain. Qu’en est-il ?

Ramadan Suleman :
Ce n’est pas parce qu’il y a eu trois ou quatre films qu’on peut parler d’effervescence. Nous sommes dans un mirage aujourd’hui. Nous n’avons pas une véritable industrie cinématographique en Afrique du Sud. Ce sera le cas quand nous commencerons à produire une dizaine de films par an. En 2005, nous n’en avons produit que cinq ou six.

Afrik.com : Les Sud-Africains sont-ils encore aujourd’hui, selon vous, marqués par l’apartheid ?

Ramadan Suleman :
L’apartheid n’existe plus dans les lois. Cependant, il existe une forme d’apartheid économique. Nous sommes libres mais la majorité des Noirs ne peut pas vivre où elle veut pour des raisons économiques.

Afrik.com : Avez-vous l’espoir que cela changera bientôt ?

Ramadan Suleman :
Bien évidemment ! Le film le montre. Zulu love letter a été financé par l’Etat sud-africain. Nous avons cette chance qu’en dépit des problèmes de logement, d’éducation…le gouvernement continue d’investir dans la culture.

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