Une interview d’Olympe Bhêly-Quenum


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Olympe Bhêly-Quenum
Olympe Bhêly-Quenum

On ne sait pas s’il est le doyen d’âge ou le plus vieux Béninois en France, mais nous l’appelons tous Doyen. Ecrivain, critique littéraire « sur-actif », comme l’a écrit Francis Fouet chercheur en socio-anthropologie culturelle vodún, mais politiquement engagé à gauche, il est probablement le doyen des intellectuels africains de France, peut-être d’Europe aussi.

Benoît Illassa : Doyen, quel est votre âge ?

Olympe Bhêly-Quenum : je suis censé être né le 26 septembre 1928, à Cotonou.

Censé ? Pourquoi censé ?

De mon temps, on naissait vers et rares étaient ceux qui avaient un acte d’état civil ; de ce fait, l’Administration coloniale nous dotait d’un Jugement supplétif sur lequel l’âge attribué à l’adolescent était rarement son âge réel; le Jugement supplétif était obligatoire si l’adolescent devait fréquenter l’école laïque; d’autre part, le postulat du système colonial voulait que «les petits Africains ne comprennent pas le français avant leur âge de dix ans.»

J’en ai entendu parler… Est-ce que c’est à cause de cette situation que -je ne sais plus dans lequel de vos livres- un personnage a refusé d’aller à l’école ? (petit rire du doyen)

Il s’agit de Koudjêgan, dans « As-tu vu Kokolie ? » roman campé entre avant et après les indépendances africaines ; loyauté obligeant, Koudjêgan, rebelle en mutation vers la folie, démonte le système colonial qui s’étiolait mais celui des néo-dictateurs africains aussi.

Quid de votre âge réel ?

Je naquis le 20 septembre 1926 ; non pas à Cotonou, mais à Gléxwé, c’est-à-dire Ouidah ; le 20 septembre 2011, j’aurai 85 ans ; ce sera un mardi; dans l’ethnie fon, Codjo est le prénom de tout garçon né un lundi.

Merci de tant de précisions. Écrivain connu dans toute l’Afrique francophone…

Connu, non, mais mes œuvres, certainement, bien que je ne sois pas médiatisé; la traduction en anglais d’Un Piège sans fin, très connue en Afrique anglophone, est appréciée par les Anglo-Saxons aussi ; sa présentation américaine par Abioseh M. Porter fait un tabac ; tenez : en anglais, allemand, russe, tchèque comme nombre de mes nouvelles, Promenade dans la forêt, rêve raconté à André Breton lors de notre rencontre en 1949, figure dans des anthologies de ces langues européennes ; sauf en 1960, année de publication d’Un Piège sans fin par les éditions Stock, aucun journal français ne parle de moi ; pas même en 1966 quand Le Chant du Lac m’a fait lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique ; dans Le Monde mais grâce à Philippe Decraene, il y a eu un entrefilet de cinq ou six lignes ; Jacques Chevrier m’a dit que quand il avait présenté son article à la responsable de « Le Monde des Livres », elle lui a demandé si j’étais « au moins connu ».

Pourquoi un tel traitement ?

Je n’en sais rien et m’en contrefiche ; mes archives recèlent des lettres telles que celle, impressionnante, de feu Robert Le Bidois, célébrissime chroniqueur du quotidien Le Monde ; j’avais rendu compte de la réimpression de Syntaxe du français moderne qui me valut les éloges du président Senghor ; revenons à nos moutons : traduits en grec, des chapitres d’Un Piège sans fin et de Le Chant du Lac sont publiés à Athènes; l’adaptation scénique de Le Chant du Lac par Driss Chraïbi a été jouée sur France Culture par le Groupe Les Griots ; une autre mise en scène a été jouée au Bénin, au lycée Toffa, à Porto-Novo ; en 1999, hôte, avec Maryvonne, de Espace François Mitterrand, à Nevers, j’ai été profondément ému d’assister à une adaptation du même roman jouée par des élèves de 3ème du collège A. Billaud ; tout cela vaut mieux que les blablabla autour d’un écrivain africain exhibé comme le chaton de l’Anneau de Gygès (dans Platon) ; mais c’est réconfortant et jubilatoire de constater qu’après sa parution en 1960, Un Piège sans fin, repris par les éditions Présence Africaine, est constamment réimprimé et au programme un peu partout en Afrique ; c’est un triomphe ; les dieux d’Afrique rigolent de vous entendre m’interroger au sujet de l’ostracisme de la presse française.

Doyen Olympe Bhêly-Quenum, vous êtes politiquement très connu en Afrique ; en France où vous résidez, vous êtes un militant du Parti socialiste ; en 2007, vous aviez catégoriquement soutenu Ségolène Royal, les textes d’un tel engagement sont encore sur votre site ; que faites-vous actuellement ? Il y aura la Primaire, il y a le cas DSK dont le retour en France fait des remous à droite comme à gauche.

Que de problèmes et de questions à la fois ! En les sériant et en les serrant de près, je dirais d’entrée :

1° un texte intitulé De la politique africaine de Sarkozy est en ligne sur mon Blog

2° qu’ils soient de droite ou de gauche, l’Africain largement octogénaire que je suis désire que les Africains de nationalité française qui veulent que nos pays supposés indépendants disent NON ! NON à la politique que je ne cesse de dénoncer : ce système souligne à faire vomir le servilisme de nombre de chefs d’État de l’Afrique francophone; très objectivement, c’est pire que « Oui mon Commandant » dans L’Étrange Destin de Wangrin du très regretté Amadou Hampâté Bâ

3° Africains, nous devrons éplucher le Programme du PS ; personnellement, DSK serait mon choix s’il n’avait pas eu des problèmes ;

4° quand, par le truchement de la Primaire le candidat du PS sera choisi, nous, Africains qui y aurons participé, devrons exiger que ce candidat définisse formellement sa Politique africaine de la France ;

5° si, sans bavardages oiseux, des Africains désiraient constituer un groupe de travail qui présenterait des amendements à la Politique africaine de la France du candidat socialiste, et si ce candidat ainsi que le PS le souhaitaient, je serais prêt à coopérer : on fait trop de choses pour l’Afrique sans les Africains ; résolument, il faut en finir avec l’hypocrisie, la supercherie et la saloperie du discours de Cotonou en 2006.

On n’ignore pas votre position face à l’élection présidentielle au Bénin…

Vous appelez ça élection ? En France, Monsieur Guéant, quand il était Secrétaire général de l’Élysée, avait fait l’éloge de Monsieur Thomas Yayi Boni ; combien de Béninois en France ont pu voter, bien qu’ils aient accompli toutes les formalités administratives ? Quant à l’élection, il n’y en a eu qu’un seul tour ! Et ça, au Bénin ! Les juristes de la politique du ventre et les visqueuses reptations du Médiateur ont prouvé leur efficacité parce que le peuple ne s’était pas rebellé massivement. Conclusion : à visage découvert la forfaiture a réinstallé au sommet de la Machine politique un failli dont le quinquennat avait été caractérisé par la gabegie et toutes sortes de dénis : démocratie, justice, information ; le couronnement en est la recrudescence de la corruption.

En 2007, vous aviez soutenu Ségolène ; qui soutiendrez-vous en 2012 ?

Je crois avoir été assez clair, mais j’ajoute en précisant : l’abstention est ce que le PS doit redouter ; si la Politique africaine de la France n’est pas claire comme l’eau de roche…

Sans risques de défavoriser le PS ?

Personnellement, je ne ferai jamais ça mais… bof ! comme a dit l’autre « La France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique. Les flux entre la France et l’Afrique représentent 2% de notre économie. » C’est dire que l’abstention des Nègres n’empêchera pas la France d’avoir un président de la République ; de droite ou gauche, l’important est de nous mobiliser contre ce président, contre ceux de nos pays aussi, afin que l’indépendance ne demeure pas le leurre qu’en a fait la Françafrique que gère Monsieur Sarkozy.

Guy Penne- « Monsieur Afrique du président Mitterrand » – était votre ami ; j’ai appris que vous vous rencontriez souvent et déjeuniez parfois quand il partait en Afrique ; il ne vous a pas oublié dans Mémoires d’Afrique, entretiens avec Claude Wauthier …

Je vois où vous voulez atterrir : essentiellement un Ami sûr, Guy était aussi un Franc-Maçon qui ne se cagoulait pas et je ne fais jamais un mystère de mon appartenance à la Grande Loge Unie d’Angleterre ; en France, je fréquentais la GLNF dont j’ai démissionné en 1981; n’empêche, j’y ai laissé des traces indélébiles en tant que principal fondateur des Loges La Croix du Sud et Félix Eboué ; quelle est votre question ?

Il y a sur votre site un Appel aux Francs-Maçons ; tout récemment, Claudine Dégla a publié un article intitulé « Guerre ouverte entre initiés au Bénin »…

J’ai lu cet article…

Où trouvez-vous le temps de lire tant d’articles, de livres, de journaux et de revues ?

L’ennui, je ne sais pas ce que c’est, sans doute parce que je lis ; je lis lentement, beaucoup, souvent en prenant des notes ; je n’interviens jamais dans un débat, même littéraire, sans m’être suffisamment informé sur le sujet ; l’article de Claudine Dégla marqué « A suivre », est-ce que je me trompe ? m’a amusé : il y est question d’« insuffisance de démocratie et de déviance maçonnique ». Le texte m’a fait rire parce qu’il y avait et il y a des Francs-Maçons dans le gouvernement de Monsieur Thomas Yayi Boni ; quand la rumeur avait frémi que lui-même serait Franc-Maçon, panique dans Landerneau : il a eu peur, remué ciel et terre afin qu’on n’en parlât plus, sans doute pour ne point déplaire aux évangélistes en soutane qui prolifèrent sous son règne. Oserait-il limoger certains « ministres trois points » ? Ni Hubert Maga ni le général Christophe Soglo n’étaient Francs-Maçons ; il y en avait dans leur gouvernement respectif, mais ils ne s’en inquiétaient pas ; initié à la Grande Loge de France, Sourou Migan Apithy avait dans son gouvernement des Frères que lui-même me présenta en me demandant de les aider ; le général Kérékou avait et a peut-être encore peur des Francs-Maçons ; il n’osait guère les menacer ; un article des Archives de mon site prouve comment deux Frères de son Cabinet m’avaient informé quand je devais le rencontrer. Mon ami Nicéphore-Dieudonné Soglo n’en est pas mais il y en avait dans son gouvernement. Eh bien ! je dis donc : si, toutes obédiences confondues les Frères et les Sœurs du Bénin le voulaient en faisant fi de la politique du ventre, la Démocratie règnerait et Monsieur Thomas Yayi Boni ne pèserait pas lourd.

Je pense à votre opuscule Les Francs-Maçons campé en France : ils sont dans tous les gouvernement : avant, pendant et après la 3ème République.

C’est ainsi ; en Angleterre, on a ni honte ni peur d’être Franc-Maçon ; je suis fier de l’être depuis plus d’un demi-siècle.

Un ami tchadien m’a laissé entendre que Tombalbaye voulait vous faire assassiner…

C’est vrai ; ce triste sir a mérité la fin tragique qu’il a eue ; d’autres qui lui avaient échappé feraient peut-être de leur cas un roman, moi, pas même une nouvelle ; avez-vous lu Mashoka elfu moja ? En kiswahili, ça signifie mille haches ; en français, j’ai traduit ce terme par L’insurrection des Mille Haches ; c’est une nouvelle de l’époque 1961-1962, de mon stage diplomatique à l’ambassade de France à Rome ; il s’agit d’un coup d’État, prélude à tous les coups d’État en Afrique ; dix-huit mois plus tard, au Togo, Eyadema assassinait le président Sylvanus Olympio ; il ne méritait pas ça ; quant à François Tombalbaye…

Il y a longtemps que vous n’êtes pas retourné au Bénin.

Plus de 75 lettres et emails, sans compter les appels téléphoniques ressassent les mêmes choses : « Doyen, un accident de la route est vite provoqué… », « Doyen, ne venez pas maintenant… », « Mon BAF Olympe, reste où tu es, tes prises de position ont fait de toi une cible… », « RF Olympe, je te connais et te supplie, ne viens pas maintenant… ». Voilà à quoi le Bénin en est arrivé : des sicaires et autres Gardes du chef de l’État ont zigouillé des innocents sans qu’il y ait jamais eu de jugement.

Très cher Doyen, je vous remercie infiniment.

Je vous ai accordé cette interview ; pour sa publication sur votre Blog ; d’autres vont la reprendre mais je tiens à ce que mon copyright y soit mentionné (obhelyquenum.com)

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