Lorsque les rapports sont tombés confirmant que Mohamed Abdullahi Abdirahim, juriste de formation et fils du chef du gouvernement à Mandera, était le cerveau de l’attaque terroriste brutale qui a tué 148 étudiants à Garissa University College, le 2 avril 2015, l’ensemble du pays a été choqué. La conscience de la nation a été piquée au vif et un message subtil mais glacial a été envoyé : personne, indépendamment de son statut social, n’est à l’abri de tomber dans la radicalisation et l’idéologie extrémiste.
Toutefois, la propagation de l’idéologie militante extrémiste parmi les jeunes bien éduqués et socialement avantagés au Kenya ne devrait choquer personne. Elle est le produit de notre philosophie morale et politique. Le Kenya est en grande partie une société inégalitaire où les élites politiques et sociales ainsi que certains prêtres chrétiens, n’ont aucun scrupule à afficher leur opulence injustifiée à la face des pauvres, des bébés affamés, des vieux, des malades et des jeunes sans emploi. Cette inégalité et l’abus de pouvoir par les hommes de l’Etat créent un terrain fertile pour tout groupe ayant l’intention de promouvoir une idéologie alternative.
L’histoire montre que la meilleure façon de faire avancer une philosophie radicale est d’utiliser la religion. La foi fournit le socle à l’idéologie. La religion donne la foi aux âmes démunies, une croyance en une puissance supérieure et de l’espoir en un changement positif. L’islam semble offrir un tel substrat plus que toute autre religion au monde. L’une des doctrines fondamentales de l’islam, c’est que dans la vie, il y a des choses plus importantes que l’accumulation de la richesse matérielle, les grandes maisons, les voitures de luxe, etc. C’est cette doctrine qui est instrumentalisée et détournée pour capturer l’imagination des jeunes démunis en les menant à la radicalisation. Il n’est pas donc très étonnant que, dans ce contexte, le gang meurtrier Mungiki ait utilisé l’islam et son leadership pour convertir un groupe important de Kikuyu à l’islam. La force de l’islam est qu’elle s’adresse à tous les groupes et communautés opprimés, marginalisés et traditionnellement défavorisés. Les idéologues propageant l’extrémisme violent le savent trop bien.
L’élite politique, les entrepreneurs et les religieux du Kenya peinent cependant à passer le message. Bien que le Kenya ait porté le plus grand poids des attaques brutales des shabab en Afrique orientale, le 2 mars 2015, les jeunes Kényans ont ouvertement exprimé leur soutien aux militants, même après que la radio Nation FM ait annoncé dans les médias sociaux que le groupe extrémiste avait planifié de faire exploser la Maison du Parlement. C’est choquant que les Kényans, dans les médias sociaux, aient unanimement salué une telle attaque sur le Parlement, le symbole ultime de la souveraineté du Kenya, surtout que cela a été fait lorsque tous les députés étaient en séance. Cela aurait secoué le cœur de la classe politique à la base. Cela n’a pourtant pas suscité la moindre réaction du Parlement ou de l’une des agences de sécurité nationale. Cette indifférence arrogante de la part de l’élite dirigeante est un point faible que les shebab utilisent sans modération.
Cette arrogance et cette indifférence ne sont pas propices à la lutte contre l’extrémisme. Notons que l’idée de la construction d’un mur le long du Kenya et de la Somalie est ridicule et insoutenable à long terme. La radicalisation est une idéologie. Le monde en est encore à tenter d’inventer un missile qui peut vaincre un idéal. La pensée mécanique et les obstacles physiques n’ont jamais réussi à vaincre un idéal. S’ils le pouvaient, le mur de Berlin serait encore debout aujourd’hui.
Pour contrer l’extrémisme violent, le Kenya a besoin de changer de paradigme ; la conception d’une nouvelle philosophie morale et politique supérieure et futuriste qui donne de l’espoir aux pauvres et aux jeunes de cette nation. Une telle philosophie politique doit condamner la cupidité excessive et l’étalage impudique de la richesse dans un pays où la majorité vit en dessous du seuil de pauvreté. Mais cela n’arrivera que si les élites politique, entrepreneuriale et religieuse ouvrent leurs yeux, leurs oreilles et leurs cœurs à la majorité des pauvres, et s’ils écoutent les cris des bébés affamés, la douleur des vieillards et des femmes malades et l’angoisse des jeunes sans emploi.
L’indifférence et l’étiquetage des gens qui souffrent et qui se perçoivent eux-mêmes comme négligés par le gouvernement et la société en général ne pourront les conduire que vers davantage de pauvreté et de misère, offrant ainsi un terrain fertile pour la radicalisation et l’extrémisme.