Il faudrait pouvoir se couler dans les interstices de la terre, glisser le long des lits du Niger, du Zambèze et du Congo, et déboucher au large des rivages africains. Traverser les nappes phréatiques qui nourrissent les luxuriantes forêts d’Afrique centrale. Regarder par les puits, comme en cachette, les Maliennes fatiguées d’avoir tant marché jusqu’à la source. Suivre les sillages de l’or bleu.
On comprendrait peut-être pourquoi des bancs entiers de mammifères marins s’échouent sans raison sur les côtes somaliennes. On verrait s’écouler, lentement, de containers peu étanches, les substances chimiques qui viennent noircir le port de Djibouti. Ou se déposer les scories polluantes qui privent la moitié de la population nigériane d’une eau saine. On contournerait le Malawi, le Swaziland ou le Zimbabwe et leurs terres arides craquelées par la sécheresse. Phénomènes plus ou moins naturels que ne vient pas interrompre la main de l’homme. Voyage imaginaire aux sources d’une richesse en voie de disparition. Comme une fatalité résonne le verdict de l’ONU : en 2025, 2,7 milliards d’êtres humains devraient souffrir de la soif, si rien n’est fait d’ici là pour endiguer le gaspillage et la pollution. Au premier rang des victimes, ceux qui souffrent déjà, en Afrique du Sud et de l’Est.
Le 22 mars, journée mondiale de l’eau, est peut-être à ce titre l’une des dates les plus importantes dans l’histoire de notre espèce. Lorsque 22 ministres de l’Environnement du continent appellent de leurs voeux une politique commune soutenue par les bailleurs de fonds, il semble que l’urgence prenne le pas sur les intérêts particuliers. L’avenir réside tant dans les petits projets d’assainissement qu’entre les mains des grandes compagnies des eaux. L’avenir et la paix, puisque, toujours selon les Nations Unies, si rien n’est fait, la prochaine grande guerre africaine pourrait bien être la « Water war » qui déchirerait les habitants de la vallée du Nil, du Niger ou de la Volta. Pour de l’eau. Simplement pour de l’eau.
Loin de ces prédictions pessimistes, à Dakar, on fête cette journée en honorant les Dieux. La journée mondiale se meut en festival, et griots et musiciens chantent pour Youmbourou Yata, Yoff ou Gorée, les divinités de l’océan. Entre cette soif de vie qui exulte et les sombres augures des analystes, il faudra pourtant bien trouver un milieu, une politique globale, sereine et réaliste, sans poésie, sans imaginaire, pour éviter que l’or bleu ne devienne le nerf d’une guerre pour la survie.