En filmant l’histoire de Napoko, accusée à tort de sorcellerie dans son village, et de sa fille qui va tout faire pour la sauver, le Burkinabé S. Pierre Yaméogo s’attelle au sujet délicat des « mangeuses d’âmes ». Avec Delwende, Lève-toi et marche, il souhaite faire évoluer les mentalités et livre un magnifique portrait de femme qui s’érige contre l’injustice des hommes.
Delwende, Lève-toi et marche s’ouvre sur une très belle scène de danse dans le village de Saaba, mais le drame pointe déjà sous la fête. Le village burkinabé connaît en effet une série de morts que les habitants ne s’expliquent pas. Elles sont dues à une épidémie de méningite qui sévit dans l’ensemble du pays mais les villageois y voient une malédiction. Et doivent trouver le coupable. Il leur faut démasquer la « mangeuse d’âmes », la sorcière… Napoko est accusée à tort et est victime d’une terrible machination, mais elle doit subir le sort de toute femme accusée de sorcellerie. Chassée du village, repoussée par sa famille natale, elle échoue, comme des dizaines d’autres, dans une des maisons qui recueille ces femmes à Ouagadougou. Il faudra toute la force de caractère de sa fille Pougbila, pour la réhabiliter et faire éclater la vérité.
S. Pierre Yaméogo traite avec subtilité du devenir de ces « sorcières », ces femmes victimes de la société obligées de subir un sort injuste. Le réalisateur connaît bien le milieu des maisons d’accueil pour l’avoir déjà filmé dans un documentaire. Au-delà de ce thème, il aborde la condition de la femme en général, les violences familiales, le tabou du viol et le machisme. Le père de Pougbila disant avec autorité qu’il a « droit de vie et de mort » sur sa fille…
Faire évoluer les mentalités
« C’est effrayant, beaucoup de personnes dans la capitale croient encore aujourd’hui à cette légende des ‘mangeuses d’âmes’ », explique le réalisateur. « Ce film a pour but de faire évoluer les mentalités, de contrer ces croyances et réveiller cette partie de l’Afrique. Je veux montrer que certaines personnes trichent et utilisent ces traditions à leur avantage. Ce sont les hommes qui les ont établies, ils doivent maintenant les abolir ! Il faut que les mentalités évoluent. Cette tradition liée à la sorcellerie est une coutume ignoble ; certaines femmes meurent sur le bord des routes. On leur fait boire une ‘potion de vérité’, un produit très toxique que certaines ne supportent pas et qui peut les empoisonner. »
Aussi dur soit-il, le film est également porteur d’un formidable message d’espoir. La ténacité et le courage de Pougbila sont de véritables défis aux lois des hommes et aux coutumes archaïques. Pougbila refuse la fatalité de la condition féminine et finit par triompher de l’injustice. S. Pierre Yaméogo, qui a d’abord voulu être journaliste, est passé par une école de photographie avant de suivre les cours du Conservatoire de Paris et ceux de l’Université de Paris-VII. Il tourne son premier court en 1984, L’œuf silhouette, puis enchaînera avec 5 longs et une dizaine de documentaires. Delwende, Lève-toi et marche a été sélectionné au dernier Festival de Cannes dans la catégorie Un certain regard.
Delwende, Lève-toi et marche de S.Pierre Yameogo, Burkina Faso/France/Suisse, 2005, 1h30, sortie française le 14 décembre 2005