Depuis l’insurrection militaire du 19 septembre, la Côte d’Ivoire est dans une confusion totale et paradoxale. Les mutins contrôlent plus de 40% du territoire, l’armée loyaliste perd du terrain et la France, qui a juré de pas s’impliquer dans le conflit, fait le grand écart. Retour sur une crise mystérieuse.
19 septembre 2002. La date est inscrite dans l’histoire contemporaine ivoirienne. Des mutins, très bien organisés et équipés d’armes sophistiquées, prennent le contrôle de Bouaké, la seconde ville du pays, de Korhogo et échouent à Abidjan. Le même jour, le général Robert Guéï est abattu, ainsi que son épouse et son aide de camp. Le ministre de la Défense s’empresse de déclarer que l’ancien putschiste est l’instigateur du coup d’Etat. Information démentie par toutes les sources. Dans la journée, le Burkina Faso est implicitement accusé d’être derrière les mutins, sans aucune preuve. Le leader du Rassemblement des républicains (RDR), Alassane Ouattara, et l’ancien président Henri Konan Bédié trouvent refuge dans les ambassades occidentales. Laurent Gbagbo écourte son voyage à Rome et tient un langage guerrier à la télévision.
Vrai-faux coup d’Etat
Pour les autorités ivoiriennes, il ne fait aucun doute : le pays fait face à une » agression extérieure « . En langage diplomatique, le Liberia de Charles Taylor et le Burkina de Blaise Compaoré sont soupçonnés d’en être responsables. La France est appelée à intervenir dans le cadre des accords qui la lient à la Côte d’Ivoire en cas d’agression extérieure. Paris calme les ardeurs d’Abidjan et lui signifie que les troupes françaises interviendront mais uniquement pour évacuer les étrangers. En clair : la Côte d’Ivoire fait face à une mutinerie. CQFD : c’est une crise ivoiro-ivoirienne et la France mettra son arme au pied.
La presse internationale doute de plus en plus de la thèse du coup d’Etat. Notre confrère de Libération explique que c’est un règlement de comptes entre le ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi, et celui de l’Intérieur Emile Boga Doudou. Ce dernier a été assassiné le 19 septembre dans des circonstances mystérieuses. Depuis cette date, le ministre de la Défense a éclipsé toutes les personnalités politiques ivoiriennes. Président et Premier ministre compris.
Appelez-moi mutin !
» Il n’y a aucun chef politique derrière nous à ma connaissance. Robert Gueï ou Alassane Ouattara ne sont pas derrière cette histoire. Nous sommes des militaires, ce n’est pas un mouvement à caractère politique « , a déclaré jeudi, lors de la première conférence de presse, l’adjudant Tuo Fozié, se présentant comme le chef des militaires rebelles de Bouaké. Selon lui, des militaires ivoiriens en exil, dont il fait lui-même partie, sont à l’origine du soulèvement. Ainsi, ce sont les garnisons des Zinzin et Baéfouè, en passe d’être démobilisées, qui auraient pris contact avec les militaires expatriés.
Les premiers jours, ils ne demandaient que leur intégration dans les Fanci, Forces armées nationales de Côte d’Ivoire. Depuis, leur discours est devenu inaudible. Ce qui dénote complètement avec leur organisation et leur discipline. Car les mutins, ils tiennent à être appelés » mutins » et non » rebelles « , ont réussi le coup de force d’attaquer trois villes au même moment et à en occuper deux. Avant de prendre d’autres villes de moindre d’importance. Qui sont-ils réellement et que veulent-ils ? Il est difficile de croire que ces actions ne soient pas coordonnées par une ou plusieurs personnes, à partir d’un lieu donné.
La France joue à l’équilibriste
L’ancienne puissance coloniale est obligée de faire le grand écart. D’abord neutre, la France a ensuite envoyé ses troupes pour évacuer les ressortissants étrangers de Korhogo et de Bouaké, villes tenues par les mutins. Et depuis le début de cette semaine, elle apporte » un soutien logistique » au gouvernement » élu démocratiquement « . Et enfin, depuis ce mardi après-midi, elle empêche les mutins à descendre vers le sud. Donc, de marcher vers Abidjan. Au-delà de la gymnastique sémantique, la France est tiraillée entre le désengagement de l’Afrique, celle de l’Ouest particulièrement, et ses » obligations « , sans cesse rappelées par Abidjan. Paris a peur de l’exemple libérien ; car ce qui se passe en Côte d’Ivoire ressemble étrangement à une guerre civile. Avec tous les risques d’implosion.