Les Tchadiens attendent toujours les résultats du premier tour des élections présidentielles pour lequel ils ont voté le 20 mai dernier. Une attente qui contribue à mettre en doute l’indépendance de la Commission électorale nationale.
L’attente se fait de plus en plus longue après le premier tour du scrutin présidentiel au Tchad (20mai 2000). Un silence lourd de « suspicion et d’inquiétudes ». Au regard des nombreuses irrégularités ayant entaché les élections (bourrages d’urnes dans certains quartiers nord de la capitale, distribution illégale de cartes d’électeurs chez le secrétaire d’Etat à la fonction publique Adoum Boukar, vote irrégulier des nomades dans les régions nord du Tchad…) .
Soixante-douze heures après ces consultations électorales, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) n’a pas encore centralisé toutes les données. Depuis lors, « sur vingt neuf départements, il n’y a que Tababa (localité située à 300 km au nord de N’djaména) qui a envoyé la totalité des procès verbaux. Nous attendons encore les résultats de la capitale ainsi que ceux des provinces qui commencent à arriver « déclare M. Yokabdjim Mandigui, président de la Ceni. Sur la base de ces statistiques partielles, » il nous est difficile de donner des tendances partielles au risque de fausser les calculs. A N’djaména déjà, les sept candidats se partagent les huit arrondissements, alors sans avoir tous les chiffres, on ne peut donner une indication quelconque. Mais je vous rassure, les résultats officiels seront connus d’ici la fin de la semaine « souligne t-il.
La France, à travers son contingent militaire » Epervier » basé à N’djaména, a décidé de déployer toute la logistique nécessaire pour aider au transport du matériel électoral et des observateurs. Ainsi environ 70 % des documents électoraux sont déjà réceptionnés à la Ceni. Le Tchad est un pays très vaste (1.284.000 km2 soit plus de deux fois la France) où les voies de communication font cruellement défaut, voire sont inexistantes dans certaines localités.
Affrontement entre militants : deux morts
Seulement, l’écrasante majorité des Tchadiens, motivés par le désir d’une alternance, piaffe d’impatience. Et la tension est très vive à N’djaména. « Les éléments de l’Agence nationale de sécurité (Ans) et des combattants armés sont lâchés en ville pour quadriller le quartier où se trouve le siège de notre journal et le lieu de réunion des leaders de l’opposition » confie M. Nékim, journaliste à N’djaména-Hebdo.
D’ailleurs, hier, un militant du parti Fédération Action pour la République (Far) a été « tabassé par les éléments de la garde prétorienne devant la présidence. Blessé, il a été transféré à l’hôpital » confie Oumar Alexandre Aguidi, responsable national des jeunes du Far. A Kélo, au sud du Tchad, une tentative de manipulation des chiffres dans certains bureaux de vote a engendré un violent affrontement entre militants du Mps (Mouvement Patriotique du Salut) et ceux de l’opposition. Un affrontement qui a fait deux morts et plusieurs blessés.
A N’djaména, les six leaders de l’opposition multiplient les concertations. Afin de définir la conduite à tenir face à » cet inacceptable hold-up électoral qui se prépare « clame un militant de l’Union pour le renouveau et la démocratie (Urd), le parti du Général Kamougué. L’opposition prévoit une conférence de presse à l’issue de laquelle un mémorandum sera publié.
Les états majors se livrent la guerre des chiffres
Personne ne voulant céder le terrain à l’autre, les protagonistes se livrent, depuis hier, à une guerre de chiffres. La Radio nationale tchadienne (Rnt) et le Quotidien » Progrès « , proche du parti au pouvoir, ont publié une fourchette des résultats donnant Idriss Déby gagnant à N’djaména avec 66 % suivi du député Yorongar Ngarlédji crédité de 13,76 %.
Des chiffres contraires aux données rassemblées à l’état-major du député fédéraliste. Yorongar déclare avoir gagné à N’djaména avec 58.072 voix contre 40.611 pour Déby. Par ailleurs, l’opposant clame sa victoire dans les localités de Doba (10.340 voix contre 3268 à Déby), Moundou (28.644 contre 10.224), Sarh (17.854 contre 883)… bref « les tendances actuelles me sont favorables » dit-il.
La Ceni ne reconnaît pas les résultats des partis
Question alors : ces statistiques sont-elles fiables? Du côté de la Ceni, on précise que les chiffres publiés ici et là, depuis deux jours, par les différents états-majors politiques ne sont pas « officiels ». Donc pas crédibles. » Je ne reconnais pas ces chiffres » lâche le président de la Ceni, avant d’ajouter, » les seuls résultats valables seront proclamés d’ici dimanche ».
Or, le même président de la Ceni, avoue que « ce sont des données issues des dépouillements juste après le scrutin « . Dans tous les cas, ce silence charrie moult suspicions sur la Ceni suspectée d’avoir truqué les chiffres ayant permis au président sortant, Idriss Déby, de remporter l’élection présidentielle en 1996. L’histoire va-t-elle se répéter ?