Hissène Habré en mauvaise posture après que la Cour de Cassation du Sénégal a cassé la décision de la chambre d’accusation se déclarant incompétente pour poursuivre l’ancien chef d’Etat tchadien. Les dessous d’un feuilleton juridique dont le verdict du 20 mars constituera un tournant décisif.
Hissène Habré, ancien dictateur tchadien réfugié à Dakar sera t-il jugé au Sénégal ? En tout cas, le réquisitoire du procureur général auprès de la Cour de Cassation du Sénégal, rendu le 20 février dernier, est révélateur d’une option claire dans ce sens.
Par cette sortie politiquement inattendue, la Cour de cassation a cassé la décision de la chambre d’accusation du 4 juillet 2000. Décision qui annulait la procédure ouverte contre Hissène Habré, accusé de complicité d’actes de tortures et de crimes contre l’humanité. Cette inculpation a été notifiée à l’ancien président tchadien suite à la plainte des victimes devant les tribunaux sénégalais le 27 janvier 2000.
Bataille procédurière
Inacceptable! Les défenseurs d’Hissène Habré commencent alors à éructer. On crie à l’indignation, à la manipulation. La défense du prévenu forme, du coup, un recours en annulation devant la chambre d’accusation.
Au cours de l’été 2000, la chambre d’accusation avait rendu une décision qualifiant les juridictions sénégalaises d’incompétentes pour trancher des faits ayant eu lieu en dehors de ce territoire, provoquant un recours des plaignants auprès de la Cour de cassation. Après l’audience des protagonistes, le procureur général auprès de la cour de cassation, Me.Aly Ciré Bâ, dans son réquisitoire du 20 février dernier, a fait voler en éclats la précédente décision en fondant son réquisitoire sur une opinion dictée par le droit.
En effet, estime M. Bâ, Hissène Habré peut être poursuivi au Sénégal, sur la base de l’article 79 de la constitution et conformément au » self executing » de la Convention des Nations contre la torture, dûment ratifiée par l’Etat du Sénégal, le 21 août 1986. En clair, si le Parquet suit la logique de la Cour, la demande d’annulation n’aboutira pas. Et l’ancien président du Tchad sera confronté à ses victimes lors d’un procès à Dakar. A défaut, l’Etat sénégalais sera mis en demeure, conformément à ses obligations internationales, d’extrader Hissène Habré. Où ? Mystère et boule de gomme.
L’indépendance des juges
En attendant le verdict de la Cour prévu le 20 mars prochain, les avocats de la partie civile affûtent leurs armes. Pour Maître Sidiki Kaba, nouveau président de la Fédération internationale des Droits de l’homme (FIDH) et avocat des victimes tchadiennes, « nous avons bon espoir que le droit sera dit en fonction de la supériorité des conventions internationales ratifiées par le Sénégal et publiées dans le journal officiel… Sachant que le droit est du côté de la partie civile, la décision de la cour a provoqué le désarroi au sein des avocats de Hissène Habré « .
Pas d’excès d’optimisme au Tchad.
« Ce réquisitoire n’est qu’une étape dans l’affaire ; pour suivre la logique jusqu’au bout, les juges ont tout intérêt à prouver leur indépendance en acceptant de juger ce criminel. Ce qui permettra de laver la triste image que la chambre d’accusation a donné des juridictions sénégalaises « soutient Dobian Assingar, président de la Ligue tchadienne des Droits de l’homme (LTDH). De leur côté, les victimes déclarent attendre beaucoup de ce verdict qui constituera, sans nul doute, un tournant décisif dans le combat de l’Afrique contre l’impunité des gouvernants.
La défense de Habré dans une mauvaise passe
Contacté par Afrik, l’avocat défenseur de Hissène Habré, Maître Madické Niang, n’a pas donné suite à notre requête. Silence radio également dans le microcosme politique. Aucun homme politique n’a réagi à cette décision, les législatives du mois d’avril semblant préoccuper beaucoup plus la classe politique que les encombres judiciaires d’un hôte, fût-il ex-président.
» La classe politique ne se sent pas concernée par cette affaire, confirme Moussa Sarr, chroniqueur judiciaire au quotidien privé Walfadjri (Sénégalais). Contrairement aux rumeurs. Je crois que l’affaire est traitée en toute indépendance par les juges. Cette fois-ci la défense de l’ancien président tchadien est dans une mauvaise passe puisque les parties civiles ont développé la même argumentation que celle des Organisations de défense de droits de l’homme, suivie également par le procureur général. »
Entre l’exigence morale de préserver le droit des considérations politiques et la nébuleuse raison d’Etat, les magistrats verront de quel côté faire peser la balance d’ici le 20 mars, date à laquelle la Cour de Cassation doit rendre son délibéré.