Sos vieux maghrébins. Après une vie passée à travailler en France, l’espoir de retour est devenu absurde, mythique. Mais la terre d’accueil demeure un lieu de transit. Sans port d’attache, fragiles et sans repères, les immigrés retraités vont peu à peu gonfler le flot des marginaux. Pour amarrer cette vieillesse qui sombre dans l’exclusion, un havre ouvre ses portes : le café chibanis.
Ils ont travaillé 15, 20, 30 ans en France avec, à l’esprit, le projet toujours ajourné de retourner au pays. Au fil des ans, imperceptiblement, ils ont perdu toute attache de l’autre côté de la Méditerranée. Pourtant, la France n’a jamais été leur patrie. Et lorsque leur force vive s’est épuisée, lorsqu’ils ne peuvent plus se targuer d’être utiles à leur famille ou à la société, l’irruption de la vieillesse s’accompagne d’un malaise indéfinissable. Isolés, sans repères, beaucoup voudraient » vieillir en France et mourir au pays « . Personnes âgées perdues dans un non-espace.
C’est justement pour leur donner un lieu qui leur appartienne que Moncef Labidi se démène. L’association Ayyem Zamen ( » Au temps jadis « ), qu’il a créée, a pour but l’édification d’un café ouvert à ces retraités qui errent aux frontières de la vie sociale. » Aux problèmes courants de la vieillesse s’ajoute celui du déracinement. Avec l’âge, ces personnes se mettent à moins bien voir, entendre, marcher… Et souffrent en plus d’une grande détresse et d’une grande solitude. Elles doivent faire face à des situations administratives complexes, qu’elles ne sont pas toujours capables d’affronter. Des paperasseries qui leur rappellent qu’elles ne sont pas d’ici « , analyse Moncef Labidi. De ce constat est née l’idée du café social. Un » café chibanis « . Vaste projet.
Chaleur et lien social
170 m², c’est l’espace qu’a réussi à mobiliser ce travailleur social. » Et encore, c’est tout juste ce qu’il nous fallait « , ajoute-t-il. Un salon de thé, un espace pour les jeux, pour des ateliers d’écriture ou de poterie, un espace conseil, une permanence d’assistance juridique… Moncef Labidi voit grand. Il imagine déjà que ce centre pourrait organiser des sorties ou des événements culturels. » Et si le café se destine explicitement aux » chibanis « , aux vieux arabes, cela n’exclut nullement les autres personnes âgées. Les vieux de tous les pays seront les bienvenus « , prévoit l’auteur du projet.
Ce port d’attache devrait ouvrir ses portes en septembre 2002. Deux travailleurs sociaux seraient embauchés avant même l’inauguration, pour entrer en contact avec les vieux immigrés parisiens. » Le plus dur, c’est de toucher les gens « , confie Moncef. Il faudra aussi prévenir les commerçants du XXème arrondissement -puisque c’est là que se situera le café- de la naissance de cette initiative. Pour le président d’Ayyem Zamen, il est important que ce havre ne soit pas un îlot isolé pour retraités, mais qu’au contraire il s’inscrive dans une dynamique de quartier. Parce que le » temps jadis » est derrière eux, il est important que le présent accepte ces étrangers à eux-mêmes, surpris par la vieillesse.
Café Chibanis : dès septembre, 7 rue Pali Kao, 75020 Paris.
Association Ayyem Zamen, 21ter rue Voltaire. Tel : 01 40 09 22 56.