L’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de recommander un changement dans le traitement de première ligne du paludisme qui pourrait permettre de sauver près de 200 000 vies par année. Les activistes de la santé en Afrique se préparent cependant à une longue bataille pour faire appliquer les nouvelles directives.
La plupart des cas de paludisme sont peu complexes et non mortels, en particulier lorsque les patients ont été exposés au parasite et qu’ils ont développé une réponse immunitaire. Chaque année toutefois, environ 8 millions de personnes contractent un paludisme « sévère ». En 2009 seulement, 781 000 personnes en sont décédées, dont 90 pour cent en Afrique, où la maladie est la principale cause de mortalité chez les enfants.
Depuis des années, la quinine est le médicament de choix pour traiter les cas graves de paludisme, mais elle est difficile à administrer et peut avoir des effets secondaires dangereux.
« Il faut faire beaucoup de calculs », a dit Véronique de Clerk, coordinatrice médicale de l’organisation non gouvernementale (ONG) internationale Médecins Sans Frontières (MSF) dans le district de Kaabong, dans le nord de l’Ouganda. « Il faut la diluer pour préparer les injections et administrer celles-ci par intraveineuse pendant quatre heures [toutes les huit heures]. Et pour surveiller la procédure, il faut disposer de personnel qualifié ».
En Afrique rurale, où on constate une pénurie de travailleurs de la santé, les patients reçoivent souvent trop peu ou trop de quinine, ce qui peut se révéler mortel, a ajouté Mme De Clerk. « Récemment, des études réalisées en Ouganda ont révélé qu’une administration de quinine sur quatre n’était pas faite correctement ».
Si l’OMS recommande déjà depuis 2006 l’utilisation de l’artésunate pour traiter les adultes atteints de paludisme sévère, dernièrement , l’organisation a revu ses directives et décidé de recommander également le traitement par artésunate pour les enfants. Cette décision se fonde sur les résultats d’un essai clinique réalisé dans neuf pays africains en 2010 et qui conclut que sur 41 enfants traités avec de l’artésunate plutôt qu’avec de la quinine, une vie supplémentaire est sauvée.
« Il est très rare qu’un médicament présente un avantage aussi évident par rapport à un autre, en particulier pour les maladies négligées comme le paludisme », a indiqué Nathan Ford, coordinateur médical pour la campagne de MSF pour l’accès aux médicaments essentiels.
Au cours des dix dernières années, plusieurs essais cliniques importants ont démontré que l’artésunate était plus sûr, plus facile à utiliser et plus efficace que la quinine. L’artésunate doit être administrée pendant trois jours par perfusion intraveineuse ou par injection intramusculaire quotidienne. Il est dès lors possible de former du personnel non médical pour l’administrer et d’ainsi permettre aux communautés rurales et isolées de profiter d’un traitement efficace.
Dans son nouveau rapport intitulé « Making the Switch », MSF répertorie les avantages du traitement par artésunate et les défis que suppose ce changement dans la politique et la pratique.
Le principal obstacle demeure le prix : l’artésunate coûte en effet deux à trois fois plus cher que la quinine – soit environ 3,30 dollars par enfant traité contre 1,30 dollar pour la quinine – et l’adoption du traitement suppose des frais supplémentaires pour la formation des travailleurs de la santé.
« Tout changement dans le protocole entraînant une augmentation des coûts risque de représenter un défi dans les pays où les budgets de la santé sont très serrés », a dit à IRIN M. Ford. MSF estime à 31 millions de dollars par an le coût supplémentaire que suppose l’utilisation du traitement par artésunate dans le monde entier.
M. Ford a dit que les bailleurs de fonds internationaux pourraient absorber ce surcoût relativement facilement, mais qu’ils n’ont pas, traditionnellement, l’habitude de supporter les coûts de traitement des cas de paludisme sévère et qu’ils risquent de se montrer réticents à offrir leur soutien avant que les gouvernements ne prennent l’initiative en modifiant leurs directives nationales.
« Les directives de l’OMS ne sont que le premier pas », a-t-il dit à IRIN. « [Elles] doivent être intégrées dans les directives et les protocoles nationaux et locaux et accompagnées d’une formation adéquate ».
Il y a dix ans, l’OMS a recommandé l’abandon de la chloroquine comme traitement standard pour le paludisme, mais les professionnels de la santé de certains pays africains continuent de la prescrire. « Il faut changer les habitudes et les pratiques en vigueur depuis un certain temps », a ajouté M. Ford.
Mme De Clerk a souligné que même si les directives nationales de l’Ouganda citaient l’artésunate comme une alternative à la quinine, en réalité, le médicament n’était pas disponible. « Pour le gouvernement, le prix est important, et la quinine a une durée de vie très longue. Ils veulent donc se débarrasser de ces stocks d’abord », a-t-elle dit.
L’OMS n’a préqualifié qu’un seul fabricant pour produire l’artésunate, mais MSF espère que la hausse de la demande encouragera un plus grand nombre d’entre eux à investir le marché afin d’améliorer l’approvisionnement, réduire le prix et faire en sorte que le soutien des bailleurs de fonds à long terme ne soit plus nécessaire.
« Ce que nous voulons, c’est que les bailleurs de fonds envoient un message très clair pour dire que tous les pays qui décident d’adopter le traitement par artésunate bénéficieront de notre soutien pour couvrir les coûts à court terme », a ajouté M. Ford.