On est ensemble de Jean Ditougou, édité par les éditions Raponda-Walker, est un petit régal pour les amateurs de langue française. Car c’est bien de cela qu’il s’agit même si les Gabonais ont ajouté leur grain de sel à la langue de Molière. Aperçu de ce petit lexique très imagé du français du Gabon.
Le français, version gabonaise, existe bel et bien. Ce « français carrefour » est un mélange d’expressions gabonaises et de mots détournés de leur sens habituel. Le gabonais Jean Ditougou, enseignant-chercheur au département de littératures africaines de l’université de Libreville, lui a consacré un ouvrage qui répertorie 852 mots. La majorité est née de l’usage fait du français par les par les jeunes. On est ensemble a été publié aux éditions Raponda-Walker, également éditeur du Rapidolangue, méthode d’apprentissage des langues gabonaises.
Familiers mais différents
On découvre d’abord dans ce livre que le français du Gabon est constitué de mots qui ont perdu leur sens initial. Ainsi si un « boa » est le serpent connu de tous, il désigne aussi un homme fortuné. Il en est de même pour « bouquet » qui signifie « belle jeune femme ». La « cave », renvoie à la cavité vaginale comme dans l’argot « français de France », mais « le caviste » est ici un adepte du cunnilingus. De même, une « communiste » ou une « onusienne » préfère la compagnie des hommes aux combats politiques. Et si quelqu’un a été « gommé » au Gabon, c’est certainement qu’il a été battu.
« Dvd », lui, comme son nom ne l’indique pas, signifie « dos et vendre dehors ». A l’origine, il fait allusion aux jeunes femmes qui arborent des vêtements qui laissent entrevoir de façon explicite leur corps. Tout comme le terme « Vcd » (ventre et culs dehors). Par extension, les « Dvd » sont des femmes légères, qualifiées aussi de « généreuses ». Attention aussi aux « journalistes ». Le mot fait bien référence à des employés d’organes de presse, mais fait allusion au fait qu’ils n’ont pas de diplôme de journalistes ou qu’ils sont des colporteurs de ragots. Dans le même esprit, « sans-famille » n’a rien avoir avec le célèbre chef d’œuvre d’Hector Malot, bien que le rapprochement soit compréhensible. Le mot renvoie à la prison centrale de Libreville.
Quand le sens n’a pas été modifié, des mots ont été créés à partir de l’existant. Une « bordelle » ? Une prostituée évidemment. Ce gabonisme, comme on le devine, est une déclinaison féminisée de bordel. Un « cabinateur », lui, a une fréquentation trop assidue des cabinets de toilettes. Un « facaire », pour sa part, est un étudiant à la faculté.
Ensuite, le français populaire est également un univers d’expressions assez fleuries. »Avenir radieux », empruntée aux Dakarois, désigne le buste tout en pointes de la jeune fille en fleur. Toujours originaire du Sénégal, « passé glorieux » se rapporte, lui, au postérieur des femmes, « véritable lieu de gloire tourné vers le passé », explique Jean Ditougou. Les fesses, quand elles sont volumineuses, sont aussi qualifiées d’ « unités ». Le mot est un emprunt au vocabulaire de la téléphonie mobile et se définit comme « le crédit permettant de passer un appel ». Quant à une « cabine avancée », il s’agit soit une bedaine, soit d’une grossesse. Une femme enceinte est qualifiée aussi de « Dix-roues ».
Pour finir avec le chapitre sexe, comment dit-on faire l’amour au Gabon ? Réponse : « faire des choses d’impoli ». Le sexe est décidément irrévérencieux partout ! On peut aussi employer le verbe « cirer », « tanner » ou « éteindre ». Afin de se protéger des maladies grâce au préservatif, on « mangera souvent la banane avec la peau ». C’est tout le contraire de « tirer à balles réelles ». Au risque de se faire tuer par « Sidonie », le sida. Une maladie que les « tué(e)s-tué(e)s » sont accusés de propager.
Les mots du quotidien
Le français en usage au Gabon est aussi un vocabulaire enrichi par la vie quotidienne. Le « bongo CFA », désigne la monnaie gabonaise qui était autrefois à l’éffigie du défunt président Omar Bongo. Le terme se rapporte aussi à l’argent distribué pendant les déplacements du Président ou les campagnes électorales. Le « Brazza bleu » renvoie à l’étui bleu de cigarettes fabriquées au Gabon, mais également aux policiers dont les uniformes étaient autrefois bleus. Ces derniers sont aussi connu sous le nom de « mange-mille ». C’est un « jeu de mots construit sur mange-mil (nom d’oiseau) et désignant le policier ou le gendarme en raison des billets de 1000 francs (C FCA, ndlr) qu’ils réclament souvent aux usagers de la route. Et des « Chine en deuil » ? Ce sont des « chaussures noires en tissu souple de fabrication chinoise ou asiatique introduites au Gabon après la mort de Mao Ze Dong », en d’autres termes des ballerines chinoises.
Le « Cpt », acronyme de « C’est pour toi », a été vulgarisé par un opérateur téléphonique gabonais. Le terme désigne les transferts d’unités entre abonnés d’un même opérateur. Par extension, il signifie amant ou amante, ou encore un meurtre. Un « dos-mouillé », lui, est un immigré clandestin originaire d’Afrique de l’Ouest qui arrive au Gabon par la mer. La « Regab », pour finir, désigne la bière nationale du Gabon et est un sigle qui a plusieurs significations : « République gabonaise » ou « Regardez les Gabonais boire ». Le français moliéresque est aussi contaminé par les langues locales. « Covo » ou « covo-divenda » est une expression empruntée à deux langues gabonaises, l’omyene et le punu. Elle est dérivée du mot qui désigne la calvitie. On l’utilisera donc pour désigner un chauve.
Enfin, le français populaire du Gabon est le résultat d’emprunts. Le « bûching », le fait d’apprendre une leçon par cœur est l’une des nombreuses perles de gabonisme. Il vient du verbe « bûcher » qui a été anglicisé. Etre « cadavéré », c’est-à-dire être ivre mort, a été vulgarisé par le chanteur congolais Zao dans les années 80. Le mot « andjailler », qui appartient à l’argot ivoirien, ainsi qu’un « tais-toi » – quelque chose que l’on donne, souvent de l’argent, pour corrompre-, se sont glissés dans le français gabonais.
Abacost pour « A bas le costume », veste légère à manche courtes portée sans chemise ni cravate, venue du Congo n’est pas seulement un gabonisme, comme « le ministre en congé », costume léger composé d’une veste à manches courtes et d’un pantalon qu’arborent, indique Jean Ditougou, « souvent les hommes politiques de retour de leur fief ». C’est tout simplement « un africanisme ». Et Au Gabon, comme partout sur le continent, le français s’est beaucoup « africanisé », pour le plus grand plaisir des amoureux de la langue de Molière.