
Considéré comme disparu depuis 1938, le portrait du prince ghanéen William Nii Nortey Dowuona, réalisé par Gustav Klimt en 1897, a été redécouvert et s’expose actuellement à la Tefaf de Maastricht. Cette œuvre exceptionnelle, témoin d’une rencontre interculturelle controversée et victime des spoliations nazies, révèle un pan méconnu de l’œuvre du maître viennois.
Après près d’un siècle d’absence, une œuvre majeure du maître autrichien Gustav Klimt fait une réapparition spectaculaire sur la scène artistique internationale. Le « Portrait du prince ghanéen William Nii Nortey Dowuona« , disparu depuis l’occupation nazie de l’Autriche en 1938, est actuellement exposé à la Tefaf de Maastricht, prestigieuse foire internationale d’art et d’antiquités.
Une redécouverte extraordinaire
Cette toile, réalisée en 1897 et vue pour la dernière fois en public en 1928 au Palais de la Sécession viennoise, est proposée à la vente pour la somme de quinze millions d’euros par la galerie W&K-Wienerroither et Kohlbache. Son histoire rocambolesque a commencé il y a deux ans lorsque des collectionneurs ont présenté aux galeristes un tableau encrassé et mal encadré, portant un timbre d’héritage de Gustav Klimt à peine visible.
Un simple appel téléphonique au professeur Alfred Weidinger, auteur du catalogue raisonné de Klimt et expert de son œuvre, a suffi pour confirmer l’authenticité de la pièce. Il s’agissait bien du fameux portrait que le spécialiste recherchait depuis deux décennies.
Une œuvre au cœur de l’histoire
Le tableau appartenait au couple Ernestine et Felix Klein, qui le conserva jusqu’en 1938. Face à la montée du nazisme et aux persécutions antisémites, les Klein, d’origine juive, furent contraints de quitter Vienne pour se réfugier à Monaco, abandonnant leur villa (l’ancien atelier de Klimt dans le quartier de Hietzing) et leurs biens précieux. À leur retour après la guerre, le portrait, comme nombre de leurs possessions, avait disparu.
Conformément aux principes éthiques actuels concernant les œuvres spoliées, les galeristes ont conclu un accord de restitution avec les héritiers des propriétaires légitimes. Un panneau apposé près de l’œuvre à la Tefaf informe les visiteurs que « cette œuvre est offerte en vertu d’un accord de règlement » avec les descendants de la famille Klein.
Une rencontre née d’un contexte colonial controversé
L’histoire de ce portrait nous plonge également dans les pratiques coloniales européennes de la fin du XIXe siècle. William Nii Nortey Dowuona, chef du peuple Ga d’Osu dans la région du Grand Accra au Ghana, était venu à Vienne en 1897 avec environ 120 personnes de sa communauté pour participer à une « exposition ethnique » au Tiergarten am Schüttel – ce que l’on appelait alors un « zoo humain« .
C’est dans ce contexte aujourd’hui considéré comme déshumanisant que Gustav Klimt et son collègue Franz von Matsch rencontrèrent le prince et décidèrent de l’immortaliser. Matsch opta pour une représentation frontale (aujourd’hui conservée au Musée national d’histoire et d’art du Luxembourg), tandis que Klimt choisit un portrait en trois-quarts profil, enrichi d’éléments végétaux à l’arrière-plan.
Un document historique et artistique majeur
Cette redécouverte a suscité un tel intérêt qu’un documentaire a été réalisé. En partie tourné au Ghana, il met en lumière l’histoire complexe du tableau, sa restauration, et le contexte historique des Völkerschauen viennois (exhibitions ethniques).

La réunion potentielle des deux portraits du prince Dowuona – celui de Klimt et celui de Matsch – offrirait une perspective enrichissante sur la représentation des figures africaines dans l’art européen de la fin du XIXe siècle, tout en témoignant de l’évolution des mentalités et de la reconnaissance de la dignité des sujets autrefois marginalisés dans l’histoire de l’art.
À l’heure où les questions de restitution d’œuvres spoliées et de réparation des injustices historiques occupent une place centrale dans le monde de l’art, cette redécouverte résonne comme un symbole puissant des chemins complexes que peuvent emprunter les objets culturels à travers l’histoire.