Un journal plaidoyer pour la liberté de la presse au Tchad


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Presse (illustration)
Presse (illustration)

Les journaux privés ayant cessé de paraître depuis la bataille de N’Djamena, en février, se sont associés pour élaborer une publication exceptionnelle, Le Journal des Journaux, qui dénonce l’ordonnance 05 restreignant drastiquement la liberté de la presse. Financé par Reporters sans frontières, ce journal a été diffusé vendredi à 10.000 exemplaires.

La liberté de la presse au Tchad a connu une éphémère éclaircie, vendredi, avec la parution du Journal des Journaux, alors que le régime d’Idriss Déby a placé les médias sous une écrasante chape de plomb depuis le mois de février : seul le quotidien progouvernemental Le Progrès continue de paraître depuis l’état d’urgence décrété entre le 15 février et le 16 mars, lors des attaques rebelles sur N’Djamena.

Le Journal des Journaux, c’est une publication exceptionnelle de douze pages, réalisée à l’initiative de Reporters sans frontières (RSF) et de l’Association professionnelle des médias tchadiens. Concocté par une trentaine de journalistes de journaux privés ayant cessé de paraître (N’Djamena Bi-Hebdo, L’Observateur, Le Temps, Le Miroir), et arborant les logos de médias fermés par les autorités (Notre Temps et la radio FM Liberté), c’est un « journal plaidoyer », selon Léonard Vincent, du bureau Afrique de RSF. « Il s’agit de dénoncer l’ordonnance 05 adoptée le 20 février et qui restreint de façon draconienne les modalités d’exercice de la profession de journaliste. »

« Tirer la sonnette d’alarme »

Cette ordonnance alourdit considérablement les peines pour délit de presse : des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison pour « publication de fausses nouvelles » et « diffamation », et jusqu’à cinq ans pour « offense au président de la République ». De plus, la création d’un journal nécessite désormais une déclaration de parution au parquet et au Haut conseil de la communication (HCC), quand une simple déclaration au ministère du Commerce suffisait auparavant. A cela s’ajoute « toute une panoplie de délits », déplore Gata Nder, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Observateur et coordonateur à N’Djamena du Journal des Journaux : « On ne peut plus critiquer l’armée ni les chefs d’Etat étrangers, et on nous interdit de parler de la rébellion. Si bien que dès qu’on écrit quelque chose, on tombe sous le coup de la loi. Dans ces conditions, nous avons décidé de cessé de paraître. »

Gata Nder confie qu’il compte bientôt reprendre une parution normale, peut-être la semaine prochaine. « Mais dans un premier temps, nous avons voulu tirer la sonnette d’alarme, attirer l’attention sur le fait qu’on n’est plus en démocratie au Tchad. Avec les différents journaux indépendants, nous nous sommes posé la question de la suite à donner à l’ordonnance du président : cela devait commencer par une publication commune. » Une publication dans laquelle les défenseurs de la liberté de la presse déploient leurs arguments : communiqués de RSF et d’associations de défense des droits de l’homme, analyses de juristes, dont un ancien président du HCC, dénonçant le nouveau régime auquel la presse tchadienne est soumise, éditorial dénonçant « la loi la plus liberticide de toute l’histoire du Tchad », etc. En amont, « nous avons engagé des actions en justice contre cette ordonnance qui viole la Constitution », indique Gata Nder.

Exil de journalistes

Le Journal des Journaux, dont c’était vendredi l’unique parution, a été tiré à 10.000 exemplaires à N’Djamena, et vendu 200 francs CFA. Sur la Une figure une caricature du président Idriss Déby Itno pointant une mitraillette estampillée « ordonnance 05 » vers les cinq journaux privés du pays, avec ce titre : « La mise à mort de la presse ». Les articles vont dans le même sens : « Les périodes d’exception consécutives aux récents troubles sont des prétextes trouvés pour contrôler la presse davantage, voire la museler », peut-on lire. Ou encore : « Le gouvernement ne peut tirer aucun profit de la mise au pas de la presse, sauf à présenter l’image d’un pays dictatorial. »

Après la bataille de N’Djamena, une dizaine de journalistes, se sentant menacés pour certains, ayant déjà été arrêtés pour d’autres, se sont exilés à l’étranger, et font depuis des allers-retours vers la capitale tchadienne, selon RSF. Enfin, la journaliste française Sonia Rolley, correspondante au Tchad de l’Agence France-Presse (AFP) et de Radio France internationale (RFI), a dû quitter le pays le 20 mars après le retrait de son autorisation de travail par les autorités tchadiennes.

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