Parce que « la peine de mort ne correspond pas au Sénégal », Alioune Tine dénonce au quotidien son maintien dans les textes. Devant ses élèves à l’université de Dakar, comme à la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho).
« Nous étions un petit groupe d’universitaires sénégalais, maliens, béninois, burundais et mauritaniens, rassemblés autour d’une cause commune : la défense des droits humains. Notre première action, en 1988, a été d’initier une pétition pour protester contre la peine de mort en Mauritanie. Après la tentative de putsch de 1987, plusieurs condamnations à mort avaient été prononcées dans ce pays, c’était inadmissible. » Alioune Tine se souvient de ces années sombres pour le pays voisin qui l’ont jeté, lui et ses camarades, dans la lutte contre la torture et la peine capitale. « C’est ce qui nous a décidé à créer la Raddho. » La Raddho (Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme), portée officiellement sur les fonds baptismaux par Amnesty International en 1990, est aujourd’hui l’organisation non gouvernementale (ONG) la plus importante du Sénégal.
Combat d’hier et d’aujourd’hui
Alioune Tine, professeur de littérature à l’université de Dakar et secrétaire général de l’association depuis 1998, évoque son combat d’hier qui se confond avec celui d’aujourd’hui. Comme un écho malsain, la Mauritanie, victime d’une tentative de coup d’Etat, le 8 juin dernier, traque les responsables. Une occasion pour la Raddho de dénoncer une fois de plus la peine de mort encore en vigueur. « Le lieutenant Didi Ould Mohamed, l’un des instigateurs présumés, s’était réfugié en juin au Sénégal. Nous avons tout fait pour empêcher son extradition, synonyme de guillotine. Le gouvernement sénégalais l’a extradé en cachette le 13 juillet dernier mais nous faisons pression sur le gouvernement mauritanien pour qu’il laisse Didi en vie. »
L’actualité de la peine capitale rebondit également au Sénégal, avec la condamnation à mort d’Abdoulaye Diagne, en septembre dernier. Pour autant, le sujet reste peu débattu et largement tabou dans le pays. Alioune n’hésite pas à l’aborder avec ses étudiants. « A chaque fois que nous parlons des droits humains, j’évoque la peine de mort car c’est pour moi un acte de barbarie qui heurte profondément ma culture. » Au Sénégal, la peine de mort est inscrite dans le code pénal mais pas dans la Constitution qui stipule que « la personne humaine est sacrée ». La dernière condamnation à mort, suivie d’une exécution (au fusil !), remonte à 1969. « La peine de mort est abolie dans les faits. Les juges sont hostiles à son application et ne l’utilisent pas. » Résultat : les prisonniers sénégalais qui attendent d’être exécutés se comptent sur les doigts d’une main. La peine d’Abdoulaye Diagne devrait d’ailleurs être commuée prochainement en peine de prison à vie.
Hypocrisie pénale
La condamnation à la peine capitale concerne surtout les délits politiques mais Abdou Diouf, au pouvoir de 1981 à 2000, et son successeur Abdoulaye Wade, ne l’ont jamais utilisée. Sans l’abolir pour autant… « C’est une question religieuse. Le pays est musulman à 90%, or l’islam prône la loi du talion et reconnaît la peine de mort. C’est pourquoi celle-ci est maintenue de façon tout à fait hypocrite. Nous demandons inlassablement sa suppression du code pénal et nous avons même rencontré Abdoulaye Wade après son élection pour lui exposer le problème. La peine de mort ne correspond pas au Sénégal. »
A 53 ans, Alioune Tine s’avoue toujours influencé par les philosophes et écrivains français qui se sont exprimés contre la peine de mort. « Ma génération a lu Sartre, Camus et Badinter. Chaque éditorial fustigeant la peine de mort publié à Paris nous encourageait dans notre lutte. L’abolition en France en 1981 a été un moment très fort. » L’abolition au Sénégal sera l’un des thèmes majeurs abordés par la Raddho dans les prochains mois. « Parce qu’un jour, nous aussi, nous abolirons. »