Un imam algérien a été expulsé de France vers l’Algérie, ce mercredi, pour avoir légitimé le châtiment corporel des femmes et la polygamie. La communauté musulmane reste mitigée quant à la décision des autorités françaises. Mais beaucoup s’accordent à dire que le vrai problème réside dans le manque de formation des imams.
« Battre sa femme, c’est autorisé par le Coran mais dans certaines conditions, notamment si la femme trompe son mari ». Cette déclaration, couplée avec une légitimation de la polygamie, a coûté cher à Abdelkader Bouziane. L’imam de la mosquée « Urssaf » de Vénissieux (centre-est, région du Rhône) a été interpellé mardi, puis expulsé, ce mercredi matin, du territoire français. La décision a été majoritairement saluée par la population. Mais certains estiment que la sanction du gouvernement ne règle pas le problème de fond : celui de la formation des imams.
L’Algérien de 52 ans vivait depuis presque 25 ans en France et officiait dans le département du Rhône depuis le début des années 90. Il prêchait une interprétation stricte et littérale du Coran, inspirée, selon certains, par la pensée salafiste. L’homme faisait l’objet d’un arrêté ministériel d’expulsion depuis le 26 février dernier pour « atteinte à l’ordre public, du fait de son activité doctrinale salafiste ». Ce sont ses déclarations au magazine lyonnais le Lyon Mag du mois d’avril qui lui auraient porté un coup de grâce. « Le gouvernement ne peut tolérer qu’en public soient tenus des propos contraires aux droits de l’homme, attentatoires à la dignité humaine et en particulier à la dignité des femmes, des appels à la haine ou à la violence ou faisant l’apologie du terrorisme », a déclaré, mardi, le ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin qui a ordonné l’expulsion.
Les musulmans divisés
Difficile de savoir si l’expulsé a dérapé ou si ses propos ont été mal interprétés. Revenant sur les déclarations faites à Lyon Mag, il déclarait mardi au quotidien Libération : « Les journalistes m’ont demandé ce que dit la religion, cela ne veut pas dire que c’est mon opinion. Mon opinion, c’est que nous sommes ici dans un pays où la loi dit qu’il ne faut pas frapper la femme, donc je ne frappe pas. La polygamie, c’est pareil. L’islam l’autorise avec des conditions. Mais si la loi le refuse, on doit la respecter ». Un discours que rapportait encore, mercredi, son avocat. « Il dit que son discours existe déjà dans le texte fondamental le Coran et qu’il a le droit de s’exprimer librement dans ce pays », a expliqué Maître Mahmoud Hébia à l’Agence France Presse (AFP).
Dans la communauté musulmane, les réactions sont mitigées. « Le gouvernement, et notamment le ministre (de l’Intérieur), étaient placés au pied du mur devant des déclarations aussi scandaleuses et aussi révoltantes. …] On ne dit pas des choses de cette nature et de cette gravité sans que cela entraîne des conséquences très graves », estimait, mercredi matin, sur la radio Europe 1, le président du Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur. Une partie de la gent féminine, pourtant directement visée par les déclarations de l’imam, trouve la sanction trop sévère. « Je n’adhère pas à ses idées, mais je trouve la sanction un peu trop dure. Il a quand même une famille ici (Abdelkader Bouziane a eu seize enfants, dont dix mineurs, de deux épouses différentes, ndlr) », explique Fatima Ezzahoui, membre de la [Ligue française de la femme musulmane (LFFM).
Traiter le problème en amont
De l’avis de certaines figures de la communauté musulmane, cette expulsion met en lumière le problème de la formation des imams. « En expulsant Abdelkader Bouziane, les autorités ont traité le problème en amont et pas en aval, souligne Charafeddine Mouslim, président du Conseil du culte musulman de la région Aquitaine et directeur du centre islamique de Bordeaux. Au lieu d’expulser, le gouvernement doit empêcher les imams qui ne parlent pas français et qui n’ont pas la culture du pays de venir. Car ils n’adaptent pas les textes aux us et coutumes de la France, ce qui rend le prêche inadapté.»
« Il faut absolument s’attaquer au problème de la formation, mais aussi combattre les problèmes sociaux. Car ce sont eux qui génèrent des comportements extrémistes. Dans la communauté musulmane, mais aussi dans les autres. Le gouvernement doit s’appuyer sur le Conseil français du culte musulman dans sa lutte contre l’extrémisme », renchérit Fatima Ezzahoui, qui précise que le cas « Abdelkader Bouziane » reste un épiphénomène.
Chacun fait son interprétation
Fatima Ezzahoui met en garde contre la sur-médiatisation de l’expulsion de l’imam de Vénissieux. « Le danger est que la communauté musulmane ressorte encore plus stigmatisée et marginalisée, un peu comme avec l’affaire du foulard. Cela pourrait déboucher sur une hausse de l’islamophobie et à un amalgame de tous les musulmans avec la minorité d’extrémistes », souligne-t-elle, tout en précisant qu’il faut tout de même parler de ces prêches mensongers.
« Mensongers », parce que « la majorité des hadiths et des versets du Coran préconisent, au contraire, de bien traiter les femmes et les enfants. Alors lorsque Abdelkader Bouziane dit qu’il ne faut pas frapper les femmes au visage, mais sur le ventre et les jambes, je trouve cela ridicule », assure la membre de la LFFM. D’aucuns estiment que l’existence de différentes interprétations du livre saint niche dans un manque de rigueur. « Il est très facile de faire dire ce que l’on veut aux textes, explique Charafeddine Mouslim. L’imam expulsé n’a rien compris. Il a lu le livre sacré sans s’armer de quoi l’interpréter correctement. D’où son interprétation erronée. »
Une deuxième chance ?
Pour certains, l’expulsion soudaine Abdelkader Bouziane apparaît comme suspecte. « La rédaction de Lyon Mag s’interroge sur une éventuelle ‘manipulation’ médiatique et condamne l’expulsion précipitée de M. Bouziane, sans que celui-ci ait pu se défendre, ‘mêmes si ses déclarations sont scandaleuses’ », rapporte l’AFP. Charafeddine Mouslim estime quant à lui qu’il y a « un certain effet d’annonce de la part du gouvernement pour dire qu’il est ferme face aux dérives ».
Le sort Abdelkader Bouziane n’est peût être pas scellé. Son avocat a déposé mercredi, selon l’AFP, « devant le tribunal administratif un référé liberté, réclamant la libération de son client, et un référé suspension, contestant l’arrêté » qui repose sur « ‘des accusations vagues et confuses’ et comporte ‘des irrégularités’ ». La date de l’audience reste à déterminer.