La 3e conférence extraordinaire des ministres africains de l’Economie et des Finances s’est tenue à Yaoundé, au Cameroun, du 15 au 17 décembre. Elle était précédée par une réunion d’experts qui avait pour objectif de faire des recommandations aux ministres au sujet de la mise en place de trois instances monétaires africaines : La Banque africaine d’investissement (BAI), la Banque centrale africaine (BCA) et le Fonds monétaire africain (FMA), dont la mise sur pied se prépare.
Le professeur d’économie camerounais Jean-Marie Gankou est le président du comité directeur de mise en place du Fonds monétaire africain. Il est également membre de l’Académie française des Sciences d’Outre-mer et ancien ministre délégué à l’Economie et aux finances du Cameroun. Afrik.com l’a rencontré à Yaoundé. Il fait le point sur le processus de mise en place et de fonctionnement des trois structures monétaires, dont le FMA, qui, après une longue gestation, devrait bientôt devenir opérationnel et, selon lui, « apporter une contribution au bon fonctionnement de l’économie africaine et une stabilité financière aux Etats africains».
Afrik.com : Quel est le bilan de la réunion des experts et des ministres africains des finances?
Jean-Marie Gankou : Deux points essentiels étaient à l’ordre du jour de cette réunion. Le premier portait sur la recherche des ressources alternatives de financement de l’Union africaine. Car comme vous le savez, jusqu’ à présent, l’Union africaine était financée par des contributions dites statutaires. On a observé d’une manière générale de nombreux arriérés au niveau des contributions des Etats. A la lumière de ce qui se passe dans certaines communautés régionales, on s’est dit qu’on devait penser à d’autres sources de financement des activités de l’Union africaine. Le 2e point portait sur le Fonds monétaire africain, notamment. Les ministres devaient prendre une décision pour valider les textes fondateurs du FMA qui a déjà été créé par les chefs d’Etat pour que cette institution puisse devenir opérationnelle.
Afrik.com : Au terme des assises de Yaoundé, quelles sont les résolutions fortes et concrètes qui ont été prises et qui donnent l’espoir de lendemains meilleurs pour les pays africains ?
Jean-Marie Gankou : Pour être bref, je pense que des avancées ont été faites sur les deux points inscrits à l’ordre du jour. Pour ce qui est de la recherche des ressources alternatives, les ministres ont proposé, à l’adoption des chefs d’Etat, des mesures qui pourront apporter un plus au financement des activités de l’Union africaine. Car pour l’instant, certaines activités sont financées par les bailleurs de fonds, les partenaires extérieurs. Or si on avait ces ressources qui nous sont propres, je pense que du point de vue de notre dignité, ce serait mieux que ce soit les Africains eux-mêmes qui financent les activités de cette institution. C’est vrai que la coopération et l’aide internationales sont là. Mais comme dit un adage bien africain, lorsque vous lavez un enfant, pour qu’il soit propre, il faut qu’il se donne la peine aussi de se frotter. S’il ne se frotte pas et attend simplement que sa maman le fasse, il y a quelque chose qui ne va pas.
Afrik.com : Où en êtes-vous donc de la création du Fonds monétaire africain ?
Jean-Marie Gankou : Je crois que la création du Fonds monétaire africain avance. Peut-être pas assez rapidement que je l’aurais souhaité, en le comparant avec le Fonds européen de stabilité financière qui est déjà opérationnel et qui intervient. Au regard de ce qui se passe en Grèce avec la crise financière et de ce qui se passe actuellement en Irlande, avec la contribution toujours de ce fonds à stabilité financière, je pense qu’on aurait dû aller plus vite. Parce qu’en fait, l’idée d’un Fonds monétaire africain remonte à 1963. Vous vous imaginez ? Trois années simplement après les indépendances de la plupart des pays africains, et jusqu’à aujourd’hui, ce fonds n’est pas opérationnel. Je pense sincèrement que ce n’est pas bien pour l’Afrique.
Afrik.com : Qu’est ce qui pose problème ?
Jean-Marie Gankou : C’est un problème de rythme. On aurait dû aller plus vite comme ce fut le cas pour le Fonds européen de stabilité financière. Sa création et sa mise en place ont été plus vite. Il est opérationnel, pourtant ils ont commencé il y a moins d’un an. Il n’y a pas que les Européens ou Occidentaux qui subissent les effets de la crise financière. Il y a des effets indirects aussi, et l’Afrique subit cette crise-là. Donc il fallait une institution pour se prémunir des crises de ce type. Et le fonds monétaire africain peut jouer ce rôle.
Afrik.com : Ça coince aussi peut être au niveau des financements, de la collecte des fonds qui vont permettre de faire fonctionner cette institution monétaire ?
Jean-Marie Gankou : Vous avez peut-être raison, mais je dis non puisque nous en sommes encore au niveau des textes fondateurs. Il est vrai que les statuts parlent du capital social, du capital libéré, de quotes-parts, etc. Mais le protocole, par exemple, et tous ces textes fondateurs, on aurait pu les examiner un peu plus tôt.
Afrik.com : Peut on considérer que le FMA existe déjà, qu’il est fonctionnel ou alors qu’il le sera au plus tard en 2011 ?
Jean-Marie Gankou : Le fonds existe. Les voies les plus autorisées, les chefs d’Etat africains ont déjà créé ce fonds. L’acte constitutif de l’Union africaine en son article 19b crée trois institutions financières : le Fonds monétaire africain, la Banque centrale africaine logée à Abuja, la Banque africaine d’investissement dont les textes fondateurs ont déjà été adoptés mais qui tarde un peu à devenir opérationnel parce qu’il faut que quinze pays au moins aient ratifié ce texte fondateur.
Afrik.com : Quels sont les buts de la structure financière qu’est le FMA ?
Jean-Marie Gankou : Le FMA ne va pas jouer le même le rôle que le Fonds monétaire international ou le Fonds monétaire asiatique, mais nous allons apporter une contribution au bon fonctionnement de l’économie africaine et faire entendre la voix de l’Afrique pour ce qui est du fonctionnement de l’économie mondiale. Car jusqu’à présent, j’ai l’impression que nous subissons.
Afrik.com : Comment se fera le fonctionnement du FMA pour les Etats africains ?
Jean-Marie Gankou : Je ne vais pas mettre la charrue avant les bœufs, tout ceci sera précisé une fois que les statuts auront été approuvés par les chefs d’Etat. Toujours est-il qu’il y a une préoccupation de stabilité financière c’est-à-dire de trouver des voies et moyens de contrôle ou d’apporter des solutions à une crise, et comme vous le savez bien, l’Afrique a toujours été caractérisée par le fait qu’elle a 48 monnaies qui sont inconvertibles. Ceci a un impact sur le volume des échanges. Le commerce intra-africain est l’un des plus faibles du monde en raison de l’inconvertibilité des différentes monnaies. Je pense que le fonds pourra apporter sa contribution à la recherche des solutions pour la convertibilité de ces monnaies, ce qui permettrait d’encourager les échanges et d’accélérer une plus grande intégration que nous appelons de tous nos vœux.
Afrik.com : Qu’en est-il des autres structures, la Banque africaine d’investissement et la Banque centrale africaine ?
Jean-Marie Gankou : Pour ce qui est de la Banque africaine d’investissement, les textes fondateurs ont déjà été adoptés par les chefs d’Etat. Normalement, il y a un seul état qui a ratifié ce texte fondateur. Une fois que le 15e ou 16e Etat aura ratifié ces textes fondateurs, la Banque africaine d’investissement sera opérationnelle. Pour ce qui est du FMA, nous sommes un peu plus avancés que pour la Banque centrale africaine. Nous en sommes déjà au niveau des textes fondateurs. Le protocole vient d’être proposé à l’adoption par les chefs d’Etat. Les statuts vont l’être au mois de mars 2011, et puis le processus sera à peu près le même que celui de la Banque africaine d’investissement. C’est-à-dire qu’on attendra que le 15e ou 16e état puisse ratifier le texte fondateur pour que la Banque devienne opérationnelle. Mon souhait est que ça aille un peu plus vite parce qu’il y a des pays africains qui font aussi face à la crise financière. Quant à la Banque centrale africaine, un comité de pilotage a été mis en place. Les membres ont été pratiquement tous désignés. Ils vont faire le même travail que nous, et leurs textes fondateurs passeront aussi devant les instances compétentes.
Afrik.com : Quels seront les avantages du FMA pour un pays comme le Cameroun ?
Jean-Marie Gankou : En résumé, il s’agira d’apporter une vision africaine sur les problèmes de l’économie mondiale et encourager l’intégration économique et politique de l’Afrique.
Afrik.com : Pensez-vous vraiment que tout cela sera bientôt fonctionnel ?
Jean-Marie Gankou : Je crois que la volonté politique a déjà été exprimée au plus haut niveau. Maintenant, il est question des modalités de mise en place. Il faudra qu’on accélère les choses. Nous allons y travailler. Nous, les experts et élites africaines, à notre niveau, nous donnerons le maximum de nous-mêmes pour mériter la confiance qui a été placée en nous par les chefs d’Etat africains, car c’est un challenge pour l’Afrique et pour nous autres qui avons été désignés pour piloter ce dossier, c’est un honneur et un défi à relever.