Bibliothécaire et producteur d’événement dans le domaine de la lecture, Vagner Amaro avait du mal à acquérir des livres d’auteurs noirs contemporains pour pour la bibliothèque scolaire dans laquelle il travaillait. L’institution avait déjà donné le feu vert pour l’achat, mais les titres répondant à ce profil étaient rares sur le marché. Beaucoup étaient épuisés, sans que des rééditions soient prévues — même pour des oeuvres d’écrivaines reconnues comme Conceição Evaristo. Interview
— Comment était-il possible que le travail de Conceição, une des plus importantes écrivaines brésiliennes en vie, soit inaccessible pour ses lecteurs ? De la même manière, les écrivains noirs étaient rarement présents dans les événements littéraires que je fréquentais, ils n’étaient pas dans les programmes scolaires, tout comme ils n’étaient pas apparus durant ma formation, que ce soit en tant que bibliothécaire ou en tant que journaliste, mais même pas à l’école primaire ou secondaire — indique Amaro, dans une interview par mail. — Il y avait donc un phénomène qui m’empêchait, bibliothécaire ou médiateur de lecture noir, de les connaitre.
Plus il investiguait, plus il constatait que les auteurs noirs étaient soit édités par de petits éditeurs, soit obligés d’investir pour leur propre publication indépendante, ce qui rendait difficile la diffusion et la reédition de leurs livres.
— J’ai réalisé qu’il y a un manque d’intérêt du marché de l’édition pour les noirs qui font une littérature de résistance ou de combat ou une “contrelittérature”, utilisant dans leurs textes des sujets comme le racisme dans la perspective du noir, qui imprègnent leur littérature, même lorsqu’ils abordent tous les sujets communs des autres littératures — dit-il.
Perplexe face à cette situation, Amaro décide d’ouvrir une maison d’édition qui non seulement donne la voix aux auteurs qu’il voyait comme marginalisés, mais qui les aide également à garantir la visibilité et l’accès aux conseils. Fondée en Juillet dernier, en association avec Francisco Jorge, l’éditeur Malê a déjà publié depuis lors sept titres. La première auteure à faire partie du catalogue? Conceição Evaristo, qui a publié son dernier ouvrage “Histórias de leves enganos e parecenças”, chez cet éditeur.
En ce mois de célébration de la Journée de la Conscience Noire (20 novembre) Malê vient de lancer deux ouvrages supplémentaires: “Esboços de um tempo presente”, un ensemble d’essais courts de Rosane Borges, et “O tapete voador”, nouveau livre de contes de Cristiane Sobral. Dès la première semaine de décembre, le recueil “12 autoras negras da literatura brasileira atual” arrive dans les librairies, ainsi que deux titres hors catalogue : “Insubmissas lágrimas de mulheres” (2011), de Conceição Evaristo, et “A lei do santo” (2000), de Muniz Sodré.
— C’est plus difficile pour ceux qui se proclament noirs — affirme Cristiane Sobral. — Le milieu littéraire est un espace de concentration de richesse et de nombreux écrivains noirs sont périphériques, ils ne sont pas dans les grands centres, ils ne disposent pas du capital nécessaire pour défier les géants de l’édition qui naviguent dans un monde parallèle au nôtre.
Elle pense donc en conséquence que les écrivains noirs sont encore plus vulnérables à un problème typique du marché brésilien de l’édition, la difficulté de voir leurs livres bien distribués.
— Beaucoup parmi eux publient déjà, mais ils ne sont pas encore présents dans les stands des grandes librairies — explique-t-elle. — J’ai un livre qui déjà été publié en trois éditions, chacune de mille exemplaires. C’est un succès si l’on considère notre littérature afro-brésilienne, mais une goutte dans l’océan des grandes tirages habituels sur le marché. Nous avons une demande urgente de rencontrer le grand public lecteur du pays avec plus de 50% de noirs et métisses. L’univers thématique est très vaste si l’on considère la culture noire et toutes ses richesses, beautés, mémoires souterraines, ses traditions.
Déjà 180 inscrits pour le prix Malê
Selon Amaro, il y a un nombre considérable de jeunes qui, au cours des dernières années, ont eu accès aux politiques de promotion de l’enseignement supérieur et qui cherchent à présent des textes autour de cet univers. Beaucoup sont selon l’éditeur, “avides de représentativité également dans la littérature”. La loi 10.639, de 2003, qui oblige l’étude de l’histoire et de la culture afrobrésiliennes dans les écoles aide à générer de l’intérêt pour la production d’auteurs noirs.
L’éditeur crée des projets qui amènent la production d’événements périphériques, comme le groupe Sarau da Esquina da Cidade de Deus, sur une scène littéraire plus large. Selon Amaro, pour beaucoup d’écrivains noirs, principalement les plus jeunes, ces événements constituent le seul canal qu’ils trouvent pour la divulgation de leurs travaux. Autre initiative pour la promotion de nouveaux talents, le Prix Malê, qui a compté cette année 180 inscrits. Le vainqueur Jhow Carvalho, et neuf autres finalistes ont vu leurs comptes publiés dans le recueil “Letra e tinta”, lancé en septembre.
— Le prix a donné de l’espace pour que les jeunes écrivains parlent de leurs expériences de vie, de sujets qui n’ont pas de place dans d’autres espaces — indique Jhow Carvalho. — Un thème récurrent dans les contes, par exemple, est celui du génocide de la population noire. Les lire, c’est penser à la manière dont les jeunes noirs perçoivent la réalité à laquelle ils appartiennent.