Après trois éditions, successivement consacrées à Louis Aragon, Guillaume Apollinaire et Tristan Tzara, le Printemps poétique de Villetaneuse est consacré cette année à Léopold Sédar Senghor. Choix dicté à la fois par l’importance de l’oeuvre du poète sénégalais et à l’urgence de consacrer à ses différentes facettes des études universitaires approfondies.
Littéraires, historiens, témoins de sa vie, acteurs, critiques, admirateurs, écrivains et professeurs se succéderont autour de deux journées de Colloque organisées les 29 et 30 mai sur le campus de l’Université Paris XIII à Villetaneuse, sous le haut patronage du président Jacques Chirac.
La première journée abordera la période coloniale, autour du thème de la négritude, concept dont l’apparition remonte aux années 1930 : oeuvres philosophiques, poétiques et politiques seront largement analysées. Senghor était alors, avec Césaire, l’animateur principal des jeunes intellectuels noirs qui, en métropole, en Afrique ou aux Antilles réclamaient un changement politique nécessaire et la reconnaissance des peuples noirs par les métropoles colonisatrices. Souleymane Diarra, Stélio Farandjis, Papa Samba Diop, entre beaucoup d’autres, réfléchiront autour de Bernard Lecherbonnier. Jacqueline Sorel, Samuel Biancini, et surtout Valérie Senghor évoqueront pour leur part le travail remarquable et passionnant qu’a représenté l’an dernier l’édition du CD-Rom Senghor…
La seconde journée sera naturellement placée sous le signe de la décolonisation et de l’accession à l’indépendance des Etats d’Afrique, à partir des années 1960. Devenu Président, Senghor est confronté aux réalités politiques, économiques et sociales de la jeune République sénégalaise : la voix qu’il trace vers la construction d’un Etat démocratique et pluraliste s’inspire alors autant des traditions libérales et socialistes européennes que de la culture africaine dont il se sent profondément le fils. Jacques Chevrier, Penda Mbow, Sally Ndongo, Mamadou Diarra, Kera Birane Cissé, Yandé Ch. Diop, Tom Amadou Seck mais aussi l’ancien Premier Ministre Pierre Messmer et Chancelier de l’Institut figureront parmi les orateurs de cette seconde journée.
Léopold Sédar Senghor a nourri une pensée profondément actuelle, autour du thème du métissage fructueux et de l’indispensable et fécond dialogue entre les cultures et les traditions. Le colloque sera l’occasion d’y voir plus clair sur les controverses qui agitèrent alors le monde intellectuel africain ( » un tigre ne défend pas sa tigritude, il griffe « , lui opposera ainsi le futur Prix Nobel nigérian Whole Soyinka, qui plus tard reconnaîtra pourtant » la dette de l’Afrique à l’égard de Senghor « …) et les polémiques qui se développèrent autour des thèmes de l’africanité et du métissage, ou de formules trempées du type » Emotion nègre, raison hellène « .
Autant de messages qui concernent encore directement les sociétés contemporaines, tant africaines qu’occidentales, dans un espace mondialisé où la confrontation des cultures est une réalité quotidienne. Ironie de l’histoire et clin d’oeil de l’actualité, ce Colloque Senghor est organisé au moment même où l’un de ses opposants historiques, Abdoulaye Wade, et désormais son successeur à la tête de l’Etat sénégalais, accomplit sa première visite officielle en France…
Ultime témoignage, paradoxal, de la réussite de l’oeuvre institutionnelle du premier président du Sénégal indépendant : car la pérennité, c’est aussi la capacité à absorber la contradiction, et à la comprendre. Cela s’appelle, selon les disciplines et les activités, la démocratie, ou la poésie.