Le secteur du tourisme constitue un levier de croissance pour la Tunisie et pour le Maroc dans le sens où il représente la principale source d’investissement et de création d’emplois. Les deux pays partagent la même cible (principalement les touristes européens) mais également les mêmes avantages comparatifs (soleil, proximité, tarifs bas). En dépit de la diversité de son offre, le Maroc a toujours été devancé par la Tunisie en termes de nombre de visiteurs. Pour la première fois, en 2007, le nombre de touristes accueilli par le Maroc a dépassé celui de la Tunisie (7,45 contre 6,7 millions). Quelles sont les raisons de ce revirement de situation ?
Depuis 2001, le Maroc a fait du tourisme un secteur prioritaire dans sa stratégie de développement en lançant un plan ambitieux (plan Azur) dont l’objectif est d’accueillir dix millions de touristes par an à l’horizon 2010. Le plan Azur s’articulait autour de trois actions : la formation des salariés du secteur, l’augmentation des possibilités d’accueil et la promotion des voyages aériens. L’augmentation de la capacité hôtelière ne peut aller sans adéquation avec le nombre de passagers aériens, d’où la nécessité de consolider et d’augmenter la fréquence des dessertes à destination à la fois des marchés traditionnels et des places nouvelles.
Dans ce sens, l’ouverture du transport aérien a été lancée depuis 2004 afin de dynamiser le secteur. Ce processus d’ouverture du ciel marocain a débouché sur une vraie dynamique qui a été accélérée par l’entrée en vigueur en 2006 de l’accord d’ « Open Sky », signé entre le Maroc et l’Europe. Cet accord, portant notamment sur l’ouverture réciproque des marchés aériens du Maroc et de l’Union Européenne (UE), est le premier du genre à être négocié et signé avec un pays non européen après les Etats-Unis. Il prévoit non seulement la suppression des restrictions de nationalité et de capacité pour toutes les compagnies, mais interdit également les aides publiques nationales aux opérateurs et met en œuvre les grandes règles de concurrence.
En brisant le monopole public longtemps exercé par la RAM (Royal Air Maroc) sur le ciel marocain, le trafic des passagers a enregistré un essor remarquable puisque le nombre de visiteurs a presque doublé, passant de 5,3 millions en 2003 à 10,1 millions en 2007.
Cette ouverture à la concurrence a incité le Maroc à poursuivre une politique de low-cost en baissant de manière significative le coût du voyage, ce qui lui a permis de cibler de nouveaux segments de clientèle. En effet, l’ouverture du marché aérien et la baisse des tarifs aéroportuaires a stimulé l’arrivée de nouvelles compagnies aériennes régulières et low-cost. Grâce à leurs coûts bas et à leur capacité de commercialisation (via Internet), elles ont pu réduire le coût du transport et assurer une plus grande fluidité ainsi qu’une desserte appropriée et directe entre les marchés émetteurs et les zones touristiques.
L’ouverture du marché aérien à la concurrence : clé du succès marocain
En plus d’attirer un nombre considérable de touristes, la multiplication des opérateurs aériens a permis à des pans entiers de la population marocaine d’accéder aux services du transport aérien ; un accès impensable et limité aux plus riches durant l’ancien régime caractérisé par le strict monopole de la RAM.
Si la Tunisie n’est pas en reste, elle accuse néanmoins du retard dans la constitution d’un pôle aérien low-cost et la libéralisation de son ciel. Suite au grand boom qu’a connu la Tunisie en matière de lits d’hôtel, il aurait fallu avoir en parallèle et instantanément le même boom pour les sièges d’avion. Autrement dit, il n’y avait pas d’adéquation entre la capacité hôtelière et le nombre de passagers aériens. Si le Maroc vient de dépasser la Tunisie, le mérite ne revient pas uniquement à la diversité de son offre ou à son positionnement sur le marché car ces avantages ont existé dans le passé. C’est surtout l’ouverture du marché aérien à la concurrence qui a permis au Maroc de valoriser ses avantages. Gérer notamment la croissance de ses capacités hôtelière et aérienne en cohérence avec la demande a favorisé l’amélioration de la qualité, la baisse des tarifs et la diversification de l’offre.
Ce qui est intéressant dans l’expérience marocaine, est que l’effet positif de l’ouverture n’est pas circonscrit au secteur du transport aérien, mais diffus puisqu’il a touché d’autres secteurs, en l’occurrence le tourisme. Contrairement aux idées reçues, cette expérience prouve que l’ouverture d’un secteur d’activité à la concurrence n’est pas toujours synonyme de disparition des compagnies nationales. En effet, la compagnie RAM a réussi à adapter ses produits au marché pour être compétitive, ce qui lui a permis de développer son activité puisqu’en trois ans (2004-2007) la RAM a doublé le nombre des passagers transportés. Une telle performance permettra d’atténuer la méfiance des dirigeants africains qui citent souvent le cas de la disparition d’Air Afrique comme argument contre l’ouverture économique. Entre le privilège de favoriser une compagnie nationale et la nécessité de promouvoir son tourisme, le Maroc a fait le choix payant de rompre avec les calculs passés entretenant le statu quo et protégeant les privilèges et les rentes. Le Maroc à ciel ouvert est aujourd’hui un acquis. Reste à s’attaquer à la réforme professionnelle et à la réforme fiscale pour créer les vraies conditions du décollage de l’industrie touristique et partant, de l’économie marocaine.
Par Hicham El Moussaoui Docteur-chercheur en économie, avec la collaboration d’Un monde libre