Interview d’Amira Mefzaoui, coordinatrice des centres d’écoute de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates.
Une enquête de l’Office national de la famille et de la population (ONFP) indique que sur 3 973 femmes en Tunisie, 15,7% d’entre elles ont subi des violences sexuelles. L’étude révèle que 80% des violences sont commises par un membre de la famille et que les plus exposées sont les femmes au foyer. Pour Amira Nefzaoui, coordinatrice des centres d’écoute de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), les violences sexuelles en Tunisie ne datent pas d’hier. D’ailleurs, elle souhaite que le cas de Mariam qui a dénoncé les deux policiers présumés violeurs soit pris en exemple par toutes les femmes victimes de violences.
Afrik.com : Comment expliquer la recrudescence des violences sexuelles en Tunisie ?
Amira Nefzaoui : Cela fait longtemps, surtout dans les sociétés patriarcales du monde arabe, qu’il existe un problème de discrimination contre les femmes. Il n’y a aucune éducation sexuelle. Les violences sexuelles sont le type de violence le plus fréquent. En Tunisie, les agressions ne sont pas en augmentation, le problème a toujours été là. C’est simplement un tabou qui a été levé. Les femmes veulent parler désormais. Il faut que l’on parvienne à mesurer ou à confirmer la gravité de ces violences.
Afrik.com : Que proposez-vous ?
Amira Nefzaoui : Il faut une réelle stratégie nationale et une campagne de sensibilisation. Des enquêtes doivent être menées. Les psychologues doivent aller sur le terrain. Mais pour y parvenir, nous avons besoin de l’aide de l’Etat.
Afrik.com : Le cas de Mariam a levé un tabou. Mais il semble que la justice peine à protéger les femmes victimes de viol…
Amira Nefzaoui : Sur le plan judiciaire, il y a un problème sur le type de sanction. Si la fille est vierge au moment des faits, la justice est de son côté. Par contre, s’il s’avère qu’elle ne l’est pas, le violeur ne risque pas grand-chose. Il est alors question d’honneur et non pas de droit. Le cas de Mariam, qu’il faut d’ailleurs encourager, a mis le doigt sur un tabou. Cette affaire doit nous aider à faire pression sur les agresseurs car la majorité des femmes commencent à parler. Lors d’une activité de mobilisation sur le terrain, plusieurs femmes sont venues nous voir et nous ont révélé les agressions dont elles ont été victimes. Ces femmes-là sont aujourd’hui dans un état psychique déplorable. Et pourtant, pour certaines leur agression remonte à dix ans en arrière. Mais l’affaire de Mariam va aider beaucoup de femmes à parler.
Afrik.com : Pensez-vous que le parti Ennahda s’est investi dans la lutte contre les violences faites aux femmes ?
Amira Nefzaoui : Ennahda ne va pas résoudre le problème car ses partisans sont des moralistes et ils jouent sur ça pour discriminer le droit des femmes. Et même s’ils cherchent à résoudre le problème, cette morale n’ira pas à l’encontre de l’homme. Ils ne vont pas faire un travail d’éducation sexuelle et ne vont pas aborder la question. Il y a même des femmes députés qui ont jugé Mariam de manière étonnante. Ennahda considère qu’une fille n’a pas le droit d’aimer ou d’être en relation avec un homme. Pour eux, c’est Mariam la coupable.
Afrik.com : Les femmes étaient-elles davantage en sécurité sous Ben Ali ?
Amira Nefzaoui : Oui, mais c’est grâce à Bourguiba. Les femmes avaient plus de liberté et elles étaient en sécurité. Avec Ennahda, les femmes sont en danger. Après 19 heures, il est devenu dangereux pour une femme de se promener dans les rues de Tunis. C’est d’ailleurs un problème pour celles qui sortent tard de leur travail.