Tout comme les Egyptiens, les révolutionnaires tunisiens sont sur la Croisette. Un documentaire du réalisateur Mourad Ben Cheikh sur la révolution dans son pays a été projeté en séance spéciale. L’oeuvre témoigne d’une expérience politique qui fait figure de cure pour le peuple tunisien.
Le cinéaste tunisien Mourad Ben Cheikh a filmé au cœur de la révolution qui a conduit au départ de Zine El Abidine Ben Ali le 14 janvier dernier en Tunisie. Le résultat : La Khaoufa Baada Al’Yaoum (Plus jamais peur) dévoilé ce vendredi en séance spéciale dans le cadre de l’hommage cannois à la révolution tunisienne. Dépression et thérapie. L’histoire que Mourad Ben Cheikh s’apprête à raconter est de cet ordre-là : la révolution tunisienne s’apparente à un remède à toute la «pourriture» générée par la dictature instaurée par Ben Ali.
A travers trois personnages, la militante des droits de l’Homme Radhia Nasraoui, la cyber militante Lina Ben Mhenni et le journaliste indépendant Karem Cherif, le document revient sur les évènements qui ont bouleversé la vie des Tunisiens et, aujourd’hui, le monde arabe.
Chacun d’eux, notamment les deux femmes, sont les visages de l’avènement de la démocratie en Tunisie. L’avocate Radhia Nasraoui représente la lutte longue et acharnée pour les droits de l’homme. Elle fera notamment une longue grève de la faim en 2003 pour exiger la fin du harcèlement dont elle et sa famille font l’objet. Son époux, Hamma Hammami, le dirigeant du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT), sera d’ailleurs maintes fois arrêté. Il se trouvait encore dans les geôles tunisiennes quand ses compatriotes réclamaient le départ de Ben Ali.
La liberté : le prix de la guérison
Lina Ben Mhenni, quant à elle, rend compte du rôle prépondérant du Net et de la jeunesse dans cette révolution. De même, la présence de ces activistes dans Plus jamais peur illustrent l’implication des femmes dans un combat pour la liberté qu’un épicier de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi a commencé en s’immolant par le feu après avoir reçu une gifle d’une policière. La police, cheville ouvrière, de la dictature de Ben Ali. Les témoignages et les manifestations contre l’ancien régime tunisien attestent du ras-le-bol des Tunisiens face à cette répression. Ce trait caractéristique du régime Ben Ali serait apparu au début des années 90, confie Radhia Nasraoui. Le passé de l’ancien président tunisien dans les Services de renseignement de l’armée, son passage dans la Roumanie de Ceaucescu et la victoire politique qui assoit son pouvoir – l’éradication du mouvement islamiste Ennhada – expliquent « l’expertise » de Ben Ali en la matière.
Outre les faits et les dures images des morts et des victimes ensanglantées, c’est la mise en mots du malaise des Tunisiens qui émeut. Une proche de Karem Cherif ose parler de la honte des Tunisiens quand ils se rendaient à l’étranger parce qu’ils toléraient une dictature. L’émotion est portée à son comble quand Radhia Nasraoui évoque ceux qui se sont battus pour la liberté et qui, malheureusement, n’ont pas l’occasion de la savourer parce que le rouleau compresseur du pouvoir Ben Ali a eu raison d’eux. Plus jamais peur nous fait pénétrer dans l’intimité d’un peuple qui souffrait en silence mais qui a réussi à se libérer de son bourreau. L’exemple n’en est que plus remarquable.
Plus jamais peur est le premier film de Mourad Ben Cheikh. Il concourt à ce titre pour la Caméra d’or qui distingue la meilleure première œuvre présentée au Festival de Cannes en Sélection officielle (Compétition, Hors compétition et Un Certain Regard), à la Semaine de la critique ou à la Quinzaine des réalisateurs.