Le projet de loi de la coalition au gouvernement, qui vise à exclure de la vie politique tous les anciens responsables du régime de Ben Ali, fait toujours débat en Tunisie. Il est vivement contesté par le parti de l’ex-premier ministre Caïd Essebsi, Nidaa Tounes, qui le juge antidémocratique. Le mouvement, créé en janvier 2012, a affirmé mercredi à Paris, lors d’une conférence de presse, son intention de saisir la justice internationale pour y mettre un terme. Pourquoi une telle loi ? Que contient-elle ? Qui concerne-t-elle ? Eclairage.
Le débat est encore très vif en Tunisie, dès lors qu’on parle du projet de loi d’exclusion. S’il est adopté, tous les membres des gouvernements d’avril 1989 au 14 janvier 2011 de l’ex-président Ben Ali, ainsi que ceux de son ancien parti, le Rassemblement Constitutionnel démocratique (RCD), se verront interdit de participer à la vie politique du pays ou de rejoindre d’autres partis. En clair, toutes les personnes ayant occupé des postes de responsabilité au sein de l’ancien régime seront exclues de toute activité politique durant cinq ans, à compter de la promulgation de la loi. Cette dernière a été proposée en avril 2012 par le Congrès pour la République, un des partis de la coalition au pouvoir, dirigée par les islamistes Ennahda. Le projet, qui va être présenté à l’Assemblée constituante, doit recueillir la majorité des votes pour être adopté, soit 109 députés sur 217.
Pour les partis au pouvoir, l’objectif est de protéger la révolution du 14 janvier 2012, qui a mis fin au règne de l’ex-président tunisien, exilé en Arabie Saoudite. Les caciques de son régime veillent toujours au grain, cherchant la moindre occasion pour s’infiltrer à nouveau dans la vie politique, selon la coalition. Ils pourraient user de leurs influences pour gagner des sièges lors d’élections locales, souligne-t-elle. Raison pour laquelle, cette loi est légitime pour préserver le processus démocratique dans le pays, argue-t-elle.
Un projet de loi contesté
Un projet vivement contesté par le parti de l’ex-Premier ministre Caïd Essebsi, Nidaa Tounes (l’appel de la Tunisie), nommé le 27 février 2011 pour assurer la transition en remplacement de Rached Ghannouchi. Caïd Essebsi pourrait donc vite être rattrapé par son passé si le projet de loi venait à être adopté. Celui qui a été à quatre reprises ministre (1965-1986), notamment de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires étrangères, sous Bourguiba, père de l’indépendance, est directement concerné par cette législation. Sous le règne de Ben Ali, cet avocat de formation, a également présidé l’Assemblée nationale (1990-1991). Il a également été député du RCD (1990-1994) et membre du comité central du RCD jusqu’à juillet 2011.
Son mouvement, créé en janvier 2012, qui souhaite revenir aux affaires du pays, est conscient que ce projet de loi pourrait constituer une entrave à son ascension. Pour Nidaa Tounes, qui a donné mercredi une conférence de presse, à Paris, « cette loi prive les Tunisiens de leurs droits les plus élémentaires ! », précisant qu’elle est « antidémocratique et doit être dénoncée ! » Le parti, qui estime qu’elle a toutes ses chances d’être adopté, va même plus loin, affirmant qu’elle « a des similitudes avec des textes juridiques de l’Allemagne Nazie, où certaines personnes étaient classées en différentes catégories et excluent de la vie politique et sociale ! Ce qui est inacceptable ! »
Nidaa Tounes, « des anciens du RCD »
Pour que ce projet de loi soit définitivement enterré, le parti compte saisir la législation internationale qui, rappelle-t-il, est au dessus des lois nationales. En effet, selon le pacte international aux droits civils et politiques, que la Tunisie a signé, les autorités doivent permettre aux citoyens de « prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis sans discrimination et sans restrictions déraisonnables », note Human Right Watch. L’organisation de défense des droits de l’Homme a également pointé du doigt le projet de loi, « ouvrant la porte aux abus ». D’ailleurs selon l’ONG, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, également ratifiée par la Tunisie, exige des États qu’ils garantissent que tout citoyen ait le droit de participer librement à la direction des affaires du pays.
Pour de nombreux révolutionnaires, au contraire, cette loi doit être à tout prix maintenue. « Ce n’est pas une loi d’exclusion, mais la protection de la démocratie naissante », estime Yassine Ayari, qui a longtemps milité pour la chute de Ben Ali. Durant 50 ans, « les membres de l’ancien régime ont méprisé la démocratie, l’indépendance de la justice, et falsifié à chaque fois les élections. Il est temps qu’ils observent pour apprendre comment se déroule une véritable démocratie pendant au moins 5 ou 10 ans », renchérit-il. Selon le jeune homme, qui ne mâche pas ses mots, « il est tout à fait normal que Nidaa Tounes conteste cette loi. Le parti n’est que le regroupement des forces anti-révolutionnaire. Sans compter qu’à sa tête, on a un ancien Rcdiste, chef du parlement de Ben Ali, et ministre de l’Intérieur impliqué dans plusieurs affaires de torture. Ce parti et son leader représentent l’espoir pour toute une classe de corrompus ».
Même son de cloche pour la jeune bloggeuse activiste politique Maryem Dhabi qui a organisé plusieurs manifestations lors du soulèvement contre Ben Ali. « En Tunisie, personne ne veut que les responsables de l’ancien régime reprennent les rênes du pays ! C’est hors de questions ! Il faudrait même les exclure pendant dix ans de la vie politique. Ce sont les révolutionnaires qui ont proposé ce projet de loi. Et on se battra pour qu’il soit adoptée ».