Tunisie : le Livre noir de Moncef Marzouki peut le mener en « prison »


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Les Tunisiens l’attendaient sur la question du blocage politique en Tunisie, c’est finalement à travers un Livre noir révélant toutes les personnes impliquées dans le système corrompu de l’ancien régime que le Président Moncef Marzouki se fait remarquer.

Intitulé « Le système de propagande sous Ben Ali », ce Livre noir de 354 pages imprimé en 300 exemplaires par la Présidence tunisienne défraie la chronique. Des journalistes, politiques, universitaires et autres personnalités publiques ont tiré à boulets rouges sur ce livre. A commencer par Samir Bettaieb qui fustige le geste du Président de la transition, en le comparant à « un enfant qui veut attirer l’attention sur lui ». Le porte-parole d’al-Massar explique que « Marzouki n’a pas le droit de gérer les archives de cette manière, et il l’a fait pour des considérations politiques et partisanes », rapporte GlobalNet.

D’autres vont encore plus loin comme le professeur de droit constitutionnel Amine Mahfoudh, qui a déclaré mercredi dernier sur les ondes de Jawhra FM que la présidence de la République a bravé la loi en publiant ce Livre noir. D’après lui, la responsabilité de cet acte est d’ordre « politique et pénal ». Le porte-parole de la présidence de la République, Adnène Mansar, a affirmé que la Présidence « assumera pleinement sa responsabilité dans la publication de son Livre noir ».

Marzouki risque sa place

D’après les déclarations écrites du constitutionnaliste Amine Mahfoudh sur sa page Facebook, « ce livre peut renvoyer tous ses auteurs directement en enfer ». Il affirme que le président de la République tunisienne « risque non seulement sa place, mais encourt également une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans de prison pour chaque plainte déposée, étant donné qu’il ne bénéficie pas d’immunité judiciaire, et ce, pour avoir transgressé plusieurs lois ». Toutes les personnes qui ont contribué à l’élaboration de ce livre risquent, selon lui, la même peine. A l’antenne de Jawhara FM, Mahfoudh reconnaît le droit à chaque citoyen de rédiger le livre de son choix, à condition qu’il le fasse dans le respect des lois qui régissent son pays.

« Moncef Marzouki, en tant que président de la République, a prêté serment lors de son investiture s’engageant à respecter les lois tunisiennes », affirme-t-il. Mais les prérogatives de la Présidence relatives à la loi constituante numéro 6 ne permettent pas à Moncef Marzouki de rédiger un tel livre au nom de la présidence de la République et non en son nom propre, explique le professeur.
Il rappelle néanmoins que le peuple tunisien a le droit de « découvrir ceux qui ont été impliqués dans ce qui est qualifié : le système de corruption, à condition que cela se passe dans le cadre de la justice transitionnelle ».

Un « faux pas »

Ce Livre noir a été contesté au sein même du gouvernement. Le ministre des droits de l’Homme et de la Justice transitoire, Samir Dilou, a désapprouvé cette publication en la qualifiant de « faux pas ». Dans une déclaration mercredi à Al-Qods Press, Samir Dilou a souligné que « les archives de l’Etat tunisien sont un dépôt entre les mains des institutions officielles, et doivent être gérées par une instance élue et spécialisée ». « Il y a un processus de justice transitionnelle qui a commencé en Tunisie, et l’on s’achemine vers la création de l’instance de la vérité et de la dignité, qui va superviser la gestion de l’archive. Pour ce faire, chaque partie garante des archives, doit les préserver », a-t-il affirmé. Moncef Marzouki ne s’arrête pas là, car il a la ferme intention de publier un tome 2 du Livre noir. Une initiative encouragée « parmi les personnes bien intentionnées », selon les propos du ministre Dilou.

Il est vrai que les médias de l’époque étaient muselés et utilisés par le pouvoir de Ben Ali comme des instruments de propagande. Les Tunisiens, loin d’être dupes, connaissaient cette vérité. Certains rappellent qu’il est tout à fait naturel que le peuple tunisien connaisse en détail la manière dont l’ancien régime s’est appuyé sur l’appareil de l’Agence tunisienne de communication extérieur (ATCE) pour manipuler et endoctriner les masses. Et ce livre, rappellent certains journaux tunisiens, peut les aider à y voir plus clair, à condition que cela ait lieu dans un strict processus de justice transitionnelle.

La réalité dépasse-t-elle la fiction ? Moncef Marzouki est en tout cas pointé du doigt pour ne pas s’être appuyé sur son passé de défenseur des droits de l’Homme qui aurait dû le rendre sensible à la notion d’éthique et au respect de la présomption d’innocence. Mais aussi et surtout pour ne pas avoir consulté le pouvoir exécutif pour conclure un tel travail délicat qui aurait dû passer sous la houlette d’une décision nationale engageant l’Etat dans son ensemble, rappelle GlobalNet.

De l’avis des détracteurs du Livre noir, ce nouveau pavé lancé dans une mare qui déborde n’aidera pas à l’apaisement des tensions que connaît actuellement la Tunisie.

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