Un haut magistrat tunisien, suspendu provisoirement de ses fonctions pour avoir dénoncé les pressions exercées sur la justice par le pouvoir, a lancé un site web. Objectif : jouer la transparence et susciter le débat. Un article de nos partenaires du magazine Transfert
« L’Internet et les chaînes privées diffusées par satellite jouent un rôle révolutionnaire dans l’avènement d’un régime démocratique en Tunisie », se réjouit Mokhtar Yahyaoui. Pourtant ce haut magistrat tunisien n’a rien d’un technophile. Mais, en Tunisie, dès qu’il s’agit de diffuser un message progressiste, les quelques journaux tunisiens (autorisés) verrouillent leurs colonnes à grands coups d’auto censure. Et les réseaux informatiques constituent, souvent, pour ceux dont les idées dérangent le pouvoir, le seul moyen d’expression. Mokhtar Yahyaoui en a fait la triste expérience…
Démis de ses fonctions
Le 6 juillet dernier, le président de chambre au tribunal de Tunis, tirait la sonnette d’alarme. Sous la forme d’une lettre ouverte adressée au président de la République Zine El-Abidine Ben Ali, le magistrat dénonçait le « harcèlement » et « les intimidations » dont les juges sont l’objet et appelait à « l’épanouissement des libertés constitutionnelles en Tunisie ». Quelques jours plus tard, la sanction tombait : le magistrat était démis de ses fonctions et privé de son salaire. « J’ai tenté d’expliquer ma démarche auprès des journaux tunisiens. J’ai contacté en vain des rédactions afin de m’exprimer sur cette affaire. Le seul média qui m’ait offert un espace de parole est Kalima, un journal en ligne (la rédactrice en chef de Kalima, Sihem Ben Sédrine est par ailleurs toujours emprisonnée en Tunisie – NDLR). »
Dialogue avec la présidence de la République
Mokhtar Yahyaoui décide alors de monter un site web, qui trouve refuge chez un hébergeur gratuit français, et sur lequel il publie des documents officiels (la plupart en arabe) liés à l’affaire. « C’était le seul moyen de communication qu’il me restait. Et l’Internet est fort heureusement une technologie qui ne requiert pas de grands moyens pour publier des informations », explique le magistrat. Avant de poursuivre : « Dans cette affaire, l’Internet m’a surtout permis de sortir de l’isolement. J’ai d’ailleurs reçu des messages d’encouragement en provenance du monde entier. Mais le plus important était de faire connaître ma position auprès de mes collègues tunisiens. De susciter le débat. »
Sa démarche semble porter ses fruits. Le magistrat vient d’être réintégré dans ses fonctions et assure mener désormais un dialogue avec la présidence de la République. « Ce que je souhaite c’est que l’on aboutisse à l’indépendance de la justice en Tunisie. À la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire qui caractérise un régime démocratique. »
Eric Mugneret
Pour en savoir plus :
Le journal Kalima
L’emprisonnement de Sihem Ben Sédrine
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