Tunisie : La percée des islamistes


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Alors que les résultats définitifs des élections de l’Assemblée constituante ne seront connus que mardi, selon les premières estimations, le parti islamiste tunisien, Ennahda, serait en tête. Sans surprise. En revanche, pour le Parti démocrate progressiste (PDP), annoncé comme la deuxième formation politique du pays, les scores seraient plus que médiocres. Ambiance post-électorale à Tunis.

(de notre envoyée spéciale à Tunis)?

« Ghanouchi dégage! » « Ganouchi dégage! » Si le leader du parti islamiste tunisien, Ennahda, Rached Ganouchi, a été hué dimanche à sa sortie du bureau de vote d’El Menzah 6, à Tunis, sa formation politique, devrait arriver en tête des élections pour la Constituante en Tunisie selon les premières estimations. L’Isie, l’instance indépendante chargée de l’organisation des élections, a refusé de communiquer tout chiffre avant l’annonce des résultats définitifs. Mais d’ors et déjà, la percée des islamistes se confirment. « Environ 40% des voix » selon les cadres de ce parti. Suivi de deux partis de gauche : Ettakatol, conduit par l’ancien opposant Mustapha Ben Jaffar, et le Congrès pour la république (CPR) de Moncef Marzouki, ex-opposant également en exil en France, dont le score autour de 15% a créé la surprise.

« Nous allons vers une nouvelle période d’incertitude »

Interdit encore il y a quelques mois, sous le régime de Ben Ali, Ennahda fait ainsi son entrée, par la grande porte, sur la scène politique de la démocratie tunisienne encore balbutiante. Comme cela avait largement été annoncé. Ce qui n’est pas sans susciter inquiétude, colère et découragement chez une minorité de Tunisiens. « Nous allons vers une nouvelle période d’incertitude. Vous allez voir » promet Leila, 42 ans. Cette mère de famille, musulmane croyante et pratiquante, voilée, a voté pour le Parti démocratique progressiste (PDP). « Ce parti est composé de cadres, d’ingénieurs, d’avocats. Ils ont de réelles compétences et un programme solide. » Mais ce parti, pourtant annoncé comme la deuxième formation politique post-révolutionnaire du pays, ferait un score très médiocre. « C’est la faute de Chebbi (Ahmed Nejib Chebbi, le fondateur et leader du parti). Il aurait du se retirer. Les gens n’ont pas confiance en lui. Son passé, son passage dans le premier gouvernement de transition notamment, très critiqué, lui a été vivement reproché. Je ne veux pas être gouverné par des imams. Leur place est dans les mosquées, pas au gouvernement. » Ce qui n’est visiblement pas de l’avis de tous.

Houcine, 35 ans, jeune marié, employé de l’Education nationale, a fait le choix d’Ennahda dimanche. Et l’assume entièrement. « J’étais déjà militant de ce parti pendant mes études universitaires. Après, à cause de la répression, j’ai dû arrêter. Dimanche, c’est la première fois que je votais, vous vous rendez compte, à mon âge ! » Aussi, c’est sans aucune hésitation que ce dernier a voté pour la liste d’Ennahda dans sa circonscription, Tunis 2. « Les gens se sont fait une mauvaise image de ce parti. Ils pensent que ce sont des talibans. Alors qu’ils sont loin de l’être. Ce sont avant tout des musulmans. Et nous devons revenir à notre base, l’islam. Nos grands-parents, nos parents, nos enfants manquent de tout dans ce pays. A commencer par des soins médicaux accessibles aux plus modestes. Aujourd’hui seuls les plus riches peuvent se soigner correctement, dans les cliniques privées, pour les autres, il n’y a que les hôpitaux publics où l’on manque de tout. Cela n’est plus possible. On doit revenir à plus de justice, de solidarité, et cela c’est Ennahda qui le propose, selon les recommandations islamiques. » Des propos qui font hurler de colère sa belle sœur, Monia. « As-tu assisté à l’un de leur meeting? As-tu lu leur programme ? Tout cela c’est de la propagande. Des mensonges. Ils n’ont rien, ni programme, ni compétences. Regardes autour de toi ? Quel gouvernement islamique a aidé son peuple ? Ce sont des libéraux. Pire encore, ils sèment la terreur là où ils passent. En Tunisie, nous, sommes très loin de leurs idées. En Tunisie, nous sommes tolérants. Notre identité arabo-musulmane elle coule dans notre sang. Personne ne peut nous l’enlever! » « Ce n’est pas vrai, reprend Houcine. Certaines personnes ont voulu modifier l’article 1er de notre Constitution (où il est dit que la religion de la Tunisie est l’islam). Cela il n’en est pas question ! » « Je ne comprends pas, observe Anissa, les yeux rivés sur sa télé où les premières tendances sont affichées. Tout le monde me dit je suis contre Ennahda, et pourtant ils sont premiers. Ce n’est pas possible. Il y en a qui doivent mentir. Et qui n’ose pas dire qu’ils ont voté pour Ennahda ».

« Ils ont acheté les voix des électeurs »

C’est un fait. Le succès d’Ennahda est incontestable. Dans les milieux les plus populaires certes. Mais pas seulement. La classe moyenne, une partie de l’élite également a été séduite par ce mouvement. Y compris la jeunesse tunisienne en quête d’identité. De quoi décourager plus d’un militant de gauche. « Nous n’avons pas combattu une dictature pour nous jeter dans une autre, regrette Halima, militante au Parti communiste des ouvriers Tunisiens (PCOT). Le peuple tunisien a prouvé sa maturité plus d’une fois, au moment de la révolution, après la fuite du dictateur, dimanche à nouveau, en se rendant massivement aux urnes. Mais il n’a pas fait le bon choix. C’était peut-être un peu trop tôt. » « Ils ont acheté les voix des électeurs », affirme Lotfi, militant du PDP. Les traits encore tirés par la fatigue cumulée au cours de la campagne, déçu, il est avant tout en colère contre les siens. « Ils se sont laissés acheter par les militants d’Ennahda qui ont distribué de l’argent. Je l’ai vu de mes propres yeux ! Les Tunisiens n’ont rien compris. Ils ne comprennent que les discours de l’argent. »

« Le succès d’Ennahda était évident »

Anis, 30 ans, enseignant, est plus nuancé. « Le succès d’Ennahda était évident. Les Tunisiens ont été opprimé, exploité, exproprié, par des hommes et des femmes qui n’avaient peur ni de la justice des hommes, ni de celle de dieu. Ils les ont même empêchés de vivre leur foi librement. Aujourd’hui, le peuple pense qu’en se tournant vers des religieux, des hommes pieux, ils sont sûr que ceux-ci ne vont pas les trahir, les voler, parce qu’ils ont peur de dieu. Bien sûr que c’est une erreur. Mais c’est leur choix. Si nous sommes descendus dans la rue le 14 janvier, c’est pour qu’on puisse s’exprimer librement. La majorité a choisi Ennahda, nous devons l’accepter. Quoi que cela nous en coûte. » Et de rappeler : « Ennahda doit son succès à la répression. Depuis Bourguiba, plus encore sous Ben Ali, ils ont été les seuls à s’opposer à la dictature. Il y a eu Hammami bien sûr, Moncef Marzouki, mais eux non pas payé le même prix que les islamistes, assassinés, emprisonnés, obligés de s’exiler. Pour la population, ils ont une réelle légitimité. Laissons-les gouverner, et nous verrons. Le leur refuser, c’est les renforcer davantage. Quand ils seront au gouvernement, s’ils déçoivent ceux qui les ont élus, ils ne feront pas long feu. Mais attention, il ne faut pas les diaboliser, cela ne fait que les rendre plus populaire encore. Ils ne vont pas imposer la charia en Tunisie. Ce n’est pas possible. Nous ne sommes pas en Iran. La société tunisienne n’aime pas qu’on lui impose de pratiquer, ni même de ne pas pratiquer sa religion comme cela a été le cas sous Ben Ali. »

En attendant, les résultats définitifs devraient être connus dans la journée de mardi. Des alliances sont déjà en cours. Et les maîtres de la partie sont incontestablement Ennahda. Chacun se positionnera en fonction de ce parti, selon qu’il est pour ou contre.

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